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1 December 2012 Analyse de la flore des Alpes. 4: Écologie
David Aeschimann, Nathalie Rasolofo, Jean-Paul Theurillat
Author Affiliations +
Abstract

Aeschimann, D., N. Rasolofo & J.-P. Theurillat (2012). Analysis of the flora of the Alps. 4: ecology. Candollea 67: 193–219. In French, English and French abstracts.

The fourth in a series, this paper continues the statistical analysis of the data published in “Flora Alpina”, treating that which concerns the ecology: preferred substrate and indicator values of the soil (humidity and trophic level). Expressed as percentages, the results concerning the flora are envisaged globally, by vegetation belt, by administrative division, by floristic contingent, by family, by genus and by biological form. Among the 4485 taxa studied in the Alps, a xerophilous, calcicole and oligotrophic tendency is prominent. Within the endemics, this trend is clearly more pronounced and, moreover, they are mostly stenoecious for the substrate, because they are often in extreme habitats where edaphic determinism is considerable. On the other hand, the profile of the xenophytes is more balanced: mesophilous, euryoecious for the substrate and meso-eutrophic (even eurytrophic). These ecological tolerances confer an important potential for colonization on the xenophytes. The correlations between factors are also studied and it is shown, for example, that the xerophilous taxa tend to be oligotrophic, whereas hygrophilous ones tend to be eutrophic.

Introduction

Cet article poursuit une série (Aeschimann & al., 2011a, b; 2012) consacrée à l'analyse statistique des données publiées dans le «Flora alpina» (Aeschimann & al., 2004), où les matières concernant la nomenclature, la biodiversité, la chorologie, la biologie et la phénologie ont déjà été abordées. Ce quatrième travail est consacré aux rubriques 21 et 22 des fiches du «Flora alpina» (1: 35–36), qui concernent l'écologie de chaque taxon, soit le substrat préféré et les valeurs indicatrices du sol (humidité et niveau trophique). Partiellement redondants avec les résultats relatifs au substrat, ceux concernant l'acidité du sol ne sont pas analysés ici. Les données relatives aux milieux et à la phytosociologie, soit celles des rubriques 18 et 19 des fiches du «Flora alpina», seront analysées dans le dernier article de cette série (en préparation). L'objectif est ici de répondre aux questions suivantes:

  1. Quels sont les pourcentages de taxons comptant pour chaque niveau d'humidité du sol, pour chaque catégorie de substrat et pour chaque niveau trophique? Dans chacun des cas, la flore est considérée globalement, par étage de végétation, par division administrative, par contingent floristique, par famille, par genre et par forme biologique. Comment interpréter ces résultats?

  2. Peut-on mettre en évidence des corrélations entre les trois facteurs étudiés (humidité du sol, substrat et niveau trophique)?

Matériel et methods

Les informations générales concernant cette série d'analyses de la Flore des Alpes ont été fournies précédemment (Aeschimann & al., 2011a: 28–31), soit celles traitant de la dition, de ses secteurs et de ses divisions administratives, ainsi que celles relatives aux taxons considérés, aux indications chorologiques et à la base de données. Les informations correspondant aux étages de végétation, aux distributions mondiales des taxons et à leurs formes biologiques figurent dans le second et le troisième article (Aeschimann & al., 2011b: 226–228; 2012: 6). Seuls les renseignements spécifiques au présent travail sont donnés ci-dessous.

Dans cet article, l'ensemble des 4485 taxons recensés dans le «Flora alpina» est considéré, sauf pour les neuf patrons cartographiques présentés, qui ne reflètent que la flore indigène totale (= endémiques+indigènes, xénophytes exclus), de manière à pouvoir rechercher d'éventuelles corrélations avec certains patrons précédemment publiés, qui ne traitent eux aussi que de la flore indigène totale. Les résultats sont exprimés en pourcentages du total de taxons d'un groupe étudié, ce qui permet chaque fois de calculer le nombre de taxons concernés par un niveau ou par une catégorie. Pour les patrons cartographiques, se référer à Aeschimann & al. (2011a: 41, colonne endémiques+indigènes) pour le total de chaque division. La plupart des taxons comptent simultanément pour plusieurs niveaux ou pour plusieurs catégories.

Humidité

Les cinq niveaux retenus dans le «Flora alpina» (1: 36) quant aux valeurs indicatrices d'humidité du sol sont ici utilisés dans les statistiques: très sec, sec, moyen, humide et mouillé-aquatique. La distinction des valeurs bleu foncé (présence régulière) et bleu clair (présence plus faible, irrégulière ou occasionnelle) n'est toutefois pas retenue pour les présentes analyses, un taxon étant alors soit présent (bleu foncé ou clair), soit absent (blanc) de chacun des cinq niveaux. Les taxons capables de subir de fortes variations d'humidité du sol font l'objet d'un décompte séparé (dotés dans le «Flora alpina» d'une mention particulière «fi01_368.gif;» signifiant «humidité changeante»). Les résultats sont complétés par un décompte des taxons exclusifs de chaque niveau, c'està-dire des taxons dont la présence est entièrement limitée à un seul niveau, ou à un regroupement de niveaux.

Substrat

Les trois catégories principales retenues dans le «Flora alpina» (1: 35) quant au substrat préféré sont ici utilisées dans les statistiques: roches calcaires, intermédiaires et siliceuses, avec respectivement les abréviations «ca», «ca/si» et «si». La distinction des valeurs bleu foncé (présence régulière plus ou moins abondante) et bleu clair (présence irrégulière, occasionnelle et (ou) abondance généralement faible) n'est toutefois pas retenue pour les présentes analyses, un taxon étant alors soit présent (bleu foncé ou clair), soit absent (blanc) de chacune des trois catégories. Les résultats sont complétés par un décompte des taxons exclusifs de chaque catégorie, ou d'un regroupement de catégories. L'on n'a pas tenu compte des rares cas suivis d'un point d'interrogation.

Parmi les 4024 taxons comptant pour les substrats intermédiaires, 29 préfèrent des substrats particuliers: serpentine, roches vertes s.l., gypse, basaltes et gabbros. Ces quelques cas rares font l'objet d'un alinéa spécifique.

Niveau trophique

Les trois niveaux trophiques retenus dans le «Flora alpina» (1: 35–36) sont ici utilisés dans les statistiques: oligotrophe, mésotrophe et eutrophe. Les valeurs bleu foncé (présence optimale) et bleu clair (présence moyenne) sont fusionnées pour les présentes analyses (taxon alors présent dans un niveau); de la même manière, les valeurs gris (présence occasionnelle) et blanc (absence) sont fusionnées (taxon alors absent d'un niveau). Les résultats sont complétés par un décompte des taxons exclusifs de chaque niveau, ou d'un regroupement de niveaux.

Corrélations entre facteurs

Le coefficient «r» de Pearson est utilisé afin de mettre en évidence d'éventuelles corrélations entre les trois facteurs analysés (humidité, substrat et niveau trophique). La significativité statistique de ce coefficient de corrélation est mesurée par le test de Student.

Résultats et discussions

Humidité

1. Données générales

Parmi les 4485 taxons recensés dans le «Flora alpina», 78% comptent pour le niveau sec des valeurs indicatrices du sol (tableau 1), alors que 50,1% comptent pour le niveau très sec, 44,7% pour l'humide et seulement 8,1% pour le mouillé-aquatique. Les écarts sont plus élevés parmi les endémiques, avec 85,6% dans le sec, 40,9% dans l'humide et seulement 0,8% dans le mouillé-aquatique, alors que les pourcentages relevés chez les indigènes (non endémiques) sont comparables à ceux de la flore totale. En revanche, parmi les xénophytes, on dénombre 83,7% de taxons comptant pour le niveau moyen et 83,1% pour le sec. Pour le très sec et l'humide, les pourcentages relevés chez les xénophytes montrent une situation inverse à celle observée parmi les indigènes, puisque 50,6% sont dénombrés dans l'humide et seulement 44,6% dans le très sec. On constate donc un glissement des valeurs vers les niveaux moyen et humide parmi les xénophytes, qui ne comptent toutefois que 5,6% de taxons dans le mouillé-aquatique.

Les pourcentages de taxons capables de subir de fortes variations d'humidité du sol (dotés de la mention particulière «humidité changeante» dans le «Flora alpina») sont les suivants pour la flore totale et par niveau: mouillé-aquatique: 63%; humide: 38%; moyen: 22%; sec: 11%; très sec: 6% (% calculés sur le nombre total de taxons de chacun des cinq niveaux et arrondis à l'unité). Ces proportions montrent qu'il y a davantage de taxons adaptés à de forts changements d'humidité du sol dans la partie humide du gradient que dans sa partie sèche. En effet, beaucoup de plantes indicatrices d'humidité sont capables de supporter des sols moins humides, voire desséchés, en période de sécheresse. On relève un gradient similaire parmi les endémiques, mais avec des pourcentages quatre à six fois plus faibles: humide: 10% (p. ex. Cirsium spinosissimum, Epilobium fleischeri, Gentiana bavarica, Pinguicula poldinii et Salix glaucosericea); moyen: 5%; sec: 2%; très sec: 1%. Ces résultats s'expliquent notamment par le fait qu'une forte proportion d'endémiques est inféodée à des milieux rocheux ou d'éboulis, qui sont bien drainés (Pawlowski, 1970: 212–213; Ozenda, 1985: 62). Aucun des quatre taxons endémiques (tableau 1: 0,8%) relevés dans le mouillé-aquatique n'est doté de mention particulière pour l'humidité changeante; il s'agit de Doronicum cataractarum, Senecio fontanicola, Silene pudibunda et Tephroseris balbisiana.

Tableau 1.

Pourcentages de taxons comptant pour les cinq niveaux d'humidité du sol (partie supérieure), et exclusifs de quatre regroupements de niveaux (partie inférieure), calculés sur les nombres totaux de taxons indiqués entre crochets pour la flore totale et ses sous-ensembles. En gras le plus haut pourcentage de chaque colonne pour chaque partie du tableau, le maximum absolu de chaque partie étant de plus encadré.

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Hormis cinq taxons exclusifs du niveau très sec (trois indigènes (non endémiques): Erodium botrys, Quercus coccifera et Quercus ilex; deux xénophytes: Opuntia humifusa et Opuntia imbricata), ainsi que deux taxons indigènes (non endémiques) exclusifs du niveau humide (Matteuccia struthiopteris et Pteris cretica), on dénombre 110 taxons exclusifs du niveau mouillé-aquatique (99 indigènes (non endémiques) et 11 xénophytes), soit 2,5% de la flore totale. Il est donc nécessaire de regrouper les niveaux, pour obtenir des proportions plus élevées et informatives. La partie inférieure du tableau 1 liste les pourcentages de taxons exclusifs de quatre regroupements de niveaux d'humidité du sol et c'est dans le regroupement sec - moyen - humide qu'on dénombre les plus hauts pourcentages de taxons (40–50%). Parmi les indigènes (non endémiques), les pourcentages sont un peu plus équilibrés entre les différents regroupements que chez les endémiques et les xénophytes, ou le regroupement sec - moyen - humide compte un plus haut pourcentage de taxons, au détriment des autres regroupements. On relève que près de la moitié des xénophytes (49,8%) sont exclusifs du regroupement sec - moyen - humide et sont donc dotés d'une assez large tolérance pour ce qui est de l'humidité du sol. Enfin, seuls quatre taxons indigènes (non endémiques; tableau 1: 0,1%) comptent simultanément pour les cinq niveaux d'humidité; il s'agit de Betula pendula, Betula pubescens, Poa trivialis subsp. sylvicola et Sesleria uliginosa.

Fig. 1.

Pourcentages de taxons comptant pour les cinq niveaux d'humidité du sol, dans chacun des cinq étages de végétation, calculés sur le nombre total de taxons recensés dans l'étage, indiqué entre crochets.

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2. Etages de vegetation

La proportion de 78% de taxons relevés dans le niveau sec pour la flore totale (tableau 1) se maintient très stable dans tous les étages de végétation (fig. 1). On note en revanche des gradients positifs ou négatifs pour les quatre autres niveaux d'humidité du sol. Les proportions de taxons relevés dans les niveaux extrêmes (très sec et mouillé-aquatique) diminuent régulièrement de l'étage collinéen à l'étage nival. Les deux seuls taxons (1,3%) relevés dans le niveau mouillé-aquatique à l'étage nival sont Alchemilla pentaphyllea et Saxifraga stellaris. Inversement, les proportions de taxons relevés dans les niveaux moyen et humide augmentent régulièrement en fonction de l'altitude, et dès l'étage subalpin le niveau moyen devient prépondérant. Aux étages collinéen et montagnard, le pourcentage de taxons dénombrés dans le niveau très sec est supérieur à celui des taxons dénombrés dans l'humide, une situation qui s'inverse dès l'étage subalpin. Globalement, on constate ainsi en fonction de l'altitude un resserrement sur les trois niveaux médians, accompagné d'un glissement vers les niveaux moyen et humide.

L'évolution des proportions de taxons relevés dans les niveaux d'humidité du sol au fil des étages de végétation suggère des corrélations causales avec certains facteurs macroenvironnementaux, principalement la diminution adiabatique de la température de l 'air et l'augmentation des précipitations en fonction de l'altitude (Ozenda, 1985; Körner, 2003), dont il résulte une diminution graduelle des milieux très secs, et parallèlement une augmentation des conditions moyennes et humides avec la diminution de l'évapotranspiration. La diminution progressive du pourcentage de taxons comptant pour le mouillé-aquatique est en revanche li ée à la moindre importance des milieux de ce type avec l'altitude. La raréfaction de ces milieux est due à la fois à des conditions géomorphologiques (augmentation des fortes pentes) aux étages alpin et nival (Theurillat & Guisan, 2001) et à la diminution de la température de l'air (réduction de tous les processus fluviaux avec le rétrécissement de la période de végétation), conform ément à l'hypothèse température-physiographie (Theurillat & al., 2003; Vittoz & al., 2010 ).

3. Patrons cartographiques

Calculés pour chacune des 29 divisions administratives établies (Aeschimann & al., 2011a: 29), les pourcentages de taxons comptant pour les cinq niveaux de valeurs indicatrices d'humidité du sol permettent de dresser des cartes de l'arc alpin, parmi lesquelles les quatre patrons des figures 2, 3, 4 et 5 correspondent aux niveaux très sec, sec, humide et mouilléaquatique. Une forte corrélation positive (R2 = 0,90, régression non développée ici) peut être mise en évidence entre le pourcentage de taxons relevés dans le niveau très sec (fig. 2) et le poids relatif du cortège floristique méditerranéen, dont le patron cartographique congruent a été publié précédemment (Aeschimann & al., 2011b: 248). Pour le niveau sec (fig. 3), la corrélation positive est forte également (R2 = 0,88). A l'inverse, une forte corrélation négative (R2 = 0,89) est établie entre le pourcentage de taxons relevés dans le niveau humide (fig. 4) et le poids relatif du cortège floristique méditerranéen. Pour le niveau mouillé-aquatique (fig. 5), la corrélation négative (R2 = 0,80) est un peu moins forte, mais demeure cependant élevée. Individuellement, il est intéressant de constater la position particulière de certaines divisions administratives. Dans la division 16 (sud des Alpes centrales, de Biella au Tessin), les pourcentages de taxons comptant pour les deux niveaux très sec et sec et, inversement, celui pour le niveau humide, divergent de ceux relevés dans les divisions directement avoisinantes, le long de la bordure sud des Alpes; ces pourcentages sont ainsi en accord avec le climat insubrien plus arrosé de la division. Le climat continental plus sec de la division 29, située à l'extrémité nord-orientale des Alpes, ressort également des divisions voisines par son pourcentage plus élevé de taxons comptant pour le niveau très sec et, inversement, par son pourcentage moins élevé de taxons comptant pour le niveau mouillé-aquatique.

Pour les endémiques, des patrons ont été établis pour les taxons qui n'occupent que 1 à 3 divisions (endémisme local, voir Aeschimann & al., 2011a: 52), parmi lesquels les deux patrons des figures 6 et 7 correspondent aux niveaux sec et humide. Le patron de la figure 6 montre que plus de 90% des taxons endémiques locaux comptent pour le niveau sec dans les divisions 2 à 5 (Alpes françaises du sud), ainsi que 16 et 17 (sud des Alpes centrales, Alpes bergamasques, brescianes et valtelinaises), indiquées en noir. C'est dire que les endémiques xérophiles dominent les deux principaux foyers d'endémisme mis en évidence dans les Alpes (Aeschimann & al., 2011a: 52). En outre, on remarque un contraste frappant concernant la division 16 où, contrairement à ce qui se passe pour la flore totale, le climat insubrien arrosé n'intervient pas, tous les taxons endémiques locaux comptant pour le niveau sec. On dénombre en revanche moins de 80% d'endémiques locaux comptant pour le niveau sec dans les divisions 20, 25, 27, 28 et 29 (une région des Alpes orientales indiquée en gris clair, s'étendant du Tirol méridional à la Haute- et Basse-Autriche, en passant par la Carinthie et la Styrie). Quant à lui, le patron de la figure 7 montre que parmi les endémiques locaux, au maximum 20% d'entre eux comptent pour le niveau humide dans les divisions 1 à 3 (extrémité sud-occidentale des Alpes), indiquées en gris clair, alors que cette proportion est supérieure ou égale à 50% dans les divisions 20, 25, 26 et 27 (une région des Alpes orientales indiquée en noir, s'étendant du Tirol méridional à la Slovénie et à la Styrie, en passant par la Carinthie). Parmi les taxons endémiques locaux du sud des Alpes occidentales et qui comptent pour le niveau sec, quelques exemples sont Asplenium jahandiezii, Ballota frutescens, Carduus aurosicus, Lilium pomponium, Phyteuma cordatum, Potentilla saxifraga et Silene cordifolia. Parmi les endémiques locaux du sud des Alpes centrales et/ou des Alpes bergamasques et brescianes, qui comptent aussi pour le niveau sec, quelques exemples sont Allium insubricum, Campanula elatinoides, Cytisus emeriflorus, Daphne petraea, Festuca ticinensis, Linaria tonzigii et Viola dubyana. Parmi les taxons endémiques locaux du sud-est des Alpes orientales (Styrie, Carinthie et Slovénie) et qui comptent pour le niveau humide, quelques exemples sont Cochlearia pyrenaica subsp. excelsa, Delphinium elatum subsp. austriacum, Doronicum cataractarum, Ranunculus traunfellneri, Saxifraga hohenwartii, Saxifraga paradoxa et Senecio fontanicola.

4. Contingents floristiques

Le tableau 2 exprime les pourcentages de taxons relevés dans les cinq niveaux de valeurs indicatrices d'humidité du sol, pour les quatre principaux contingents floristiques mis en évidence précédemment (Aeschimann & al., 2011b: 244), ainsi que pour le cortège floristique arctico-alpin qui occupe le second rang en importance aux étages alpin et nival. Parmi les 779 taxons recensés dans le cortège floristique méditerranéen, 93,7% comptent pour le niveau sec et 83,1% pour le niveau très sec, alors que dès le niveau moyen les pourcentages relevés pour ce cortège sont inférieurs à 50%. Ces résultats corroborent les corrélations mises en évidence plus haut. Pour le cortège sud-européen-montagnard et le contingent européen, le pourcentage maximal est toujours relevé dans le niveau sec (respectivement 84,7% et 77,5%), mais on note en revanche encore 83% et 76% dans le niveau moyen et seulement 51,7% et 48% dans le très sec. Le cortège sud-européen-montagnard compte très peu de taxons dans le mouillé-aquatique (1,2%), à l'instar du cortège méditerranéen (2,2%). Pour le contingent eurasiatique et le cortège arctico-alpin, le pourcentage maximal est relevé dans le niveau moyen (respectivement 75,6% et 89,4%). Le cortège arctico-alpin montre des proportions supérieures à celles des quatre autres contingents dans les niveaux moyen, humide et mouillé-aquatique (respectivement 89,4%, 69,2% et 12,5%), et à l'inverse des proportions inférieures à celles des quatre autres contingents dans les niveaux sec et très sec (respectivement 55,8% et 23,1%). Le contingent eurasiatique et le cortège arctico-alpin montrent des proportions relativement élevées de taxons dans le mouillé-aquatique (supérieures à 10%), car les plantes paludéennes et aquatiques sont connues pour leurs aires de distribution souvent très larges. Enfin, toutes les proportions relevées pour le contingent européen sont celles qui se rapprochent le plus de celles de la flore totale, alors que celles des cortèges méditerranéen et arctico-alpin s'en écartent nettement. Apparemment paradoxale, l'importance des taxons comptant pour les niveaux sec et très sec dans le contingent européen pourrait résulter des conditions paléo-climatiques steppiques très arides qui régnaient durant la dernière glaciation en Europe (aridité méga-continentale selon Guthrie (2001: 550)) et qui auraient favorisé une flore adaptée à la sécheresse.

Fig. 2.

Carte de la dition avec, par division administrative, le pourcentage de taxons comptant pour le niveau très sec des valeurs indicatrices du sol, seule la flore indigène totale (endémiques+indigènes) étant ici considérée. Quatre classes sont définies : blanc : 33,3%; gris clair : 33,4-41,6 %; gris foncé : 41,7-49,9%; noir : 50,0%.

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Fig. 3.

Carte de la dition avec, par division administrative, le pourcentage de taxons comptant pour le niveau sec des valeurs indicatrices du sol, seule la flore indigène totale (endémiques+indigènes) étant ici considérée. Quatre classes sont définies : blanc : 69,9%; gris clair : 70,0–74,9 %; gris foncé : 75,0–79,9 %; noir : 80,0%.

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Fig. 4.

Carte de la dition avec, par division administrative, le pourcentage de taxons comptant pour le niveau humide des valeurs indicatrices du sol, seule la flore indigène totale (endémiques+indigènes) étant ici considérée. Quatre classes sont définies : blanc : 44,9%; gris clair : 45,0–52,4 %; gris foncé : 52,5–59,9 %; noir : 60,0%.

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Fig. 5.

Carte de la dition avec, par division administrative, le pourcentage de taxons comptant pour le niveau mouillé-aquatique des valeurs indicatrices du sol, seule la flore indigène totale (endémiques+indigènes) étant ici considérée. Quatre classes sont définies : blanc : 5,9%; gris clair : 6,0–8,9%; gris foncé : 9,0–11,9%; noir : 12,0%.

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Fig. 6.

Carte de la dition avec, par division administrative, le pourcentage de taxons endémiques locaux (cf. texte) comptant pour le niveau sec des valeurs indicatrices du sol. Trois classes sont définies : gris clair : 80%; gris foncé : 81–90 %; noir : 91%. En blanc, les divisions comptant moins de huit endémiques locaux ne sont ici pas documentées.

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Fig. 7.

Carte de la dition avec, par division administrative, le pourcentage de taxons endémiques locaux (cf. texte) comptant pour le niveau humide des valeurs indicatrices du sol. Trois classes sont définies : gris clair : 24%; gris foncé : 25– 49%; noir : 50%. En blanc, les divisions comptant moins de huit endémiques locaux ne sont ici pas documentées.

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Tableau 2.

Pourcentages de taxons comptant pour les cinq niveaux d'humidité du sol, calculés sur les nombres totaux de taxons indiqués entre crochets pour cinq contingents floristiques sélectionnés, ainsi que pour la flore totale. En gras le plus haut pourcentage de chaque colonne, le maximum absolu étant de plus encadré.

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Tableau 3.

Pourcentages de taxons comptant pour les cinq niveaux d'humidité du sol, calculés sur les nombres totaux de taxons recensés dans les douze familles réunissant chacune plus de 100 taxons dans les Alpes, ainsi que pour la flore totale. En gras le plus haut pourcentage dans chaque famille, le maximum absolu étant de plus encadré.

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5. Familles

Parmi les douze familles réunissant chacune plus de 100 taxons dans les Alpes (Aeschimann & al., 2011a: 39), dix montrent une proportion maximale de taxons dans le niveau sec (tableau 3), les pourcentages s'échelonnant entre 78,5% chez les Apiaceae et 96,1% chez les Fabaceae (le maximum absolu pour ce choix de familles). Pour toutes ces familles, le pourcentage de taxons dans le sec dépasse donc celui relevé pour la flore totale, soit 78%, mais le profil global des Apiaceae est très similaire à celui de la flore totale. La famille des Fabaceae est aussi celle où l'on relève le plus fort pourcentage de taxons dans le niveau très sec (78,2%) et, à l'inverse, celle qui montre les plus faibles pourcentages dans les niveaux humide (21,1%) et mouillé-aquatique (1,1%). Les Cyperaceae montrent au contraire les proportions maximales de taxons des niveaux humide (79,4%) et mouillé-aquatique (38,8%), ainsi que les plus faibles pourcentages des niveaux sec (28,8%) et très sec (19,4%). Le profil des Ranunculaceae est le plus équilibré, avec une proportion maximale de taxons dans le niveau moyen (81,3%). Parmi les familles réunissant chacune moins de 100 taxons dans les Alpes, nombreuses sont celles dont la proportion de taxons comptant pour l'un ou l'autre niveau d'humidité atteint 100%. Voici une sélection d'exemples:

  • — très sec et sec: Anacardiaceae, Globulariaceae et Rutaceae;

  • — sec: Cistaceae, Orobanchaceae et Papaveraceae;

  • — humide: Alismataceae, Balsaminaceae et Selaginellaceae;

  • — mouillé-aquatique: Alismataceae, Hydrocharitaceae, Potamogetonaceae et Sparganiaceae.

Tableau 4.

Pourcentages de taxons comptant pour les cinq niveaux d'humidité du sol, calculés sur les nombres totaux de taxons recensés dans les quinze genres réunissant chacun au moins 40 taxons dans les Alpes, ainsi que pour la flore totale. En gras le plus haut pourcentage dans chaque genre, le maximum absolu étant de plus encadré.

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6. Genres

Parmi les quinze genres réunissant chacun au moins 40 taxons dans les Alpes (Aeschimann & al., 2011a: 39), dix montrent une proportion maximale de taxons dans le niveau sec (tableau 4), les pourcentages s'échelonnant entre 73,2% pour les Veronica et 100% pour les Centaurea et les Hieracium (le maximum absolu pour ce choix de genres). Parmi ces dix genres, les Veronica montrent le profil le plus équilibré et un pourcentage de taxons relativement élevé dans le niveau mouillé-aquatique (14,6%). Le profil des Galium est quant à lui le plus congruent avec celui de la flore totale. Parmi les cinq autres genres du tableau 4, les Carex montrent les proportions maximales de taxons des niveaux humide (73%) et mouillé-aquatique (33%), mais cependant des pourcentages de taxons relativement élevés dans les niveaux moyen (67%) et sec (39,1%), ainsi que dans le niveau très sec, où avec 26,1% ils devancent même les Ranunculus, qui présentent le pourcentage le plus faible de ce niveau, soit 23,2%. Les genres Gentiana, Ranunculus, Saxifraga et Viola sont ceux qui montrent la proportion de taxons la plus élevée dans le niveau moyen, les pourcentages s'échelonnant entre 71,4% pour les Ranunculus et 97,7% pour les Gentiana, le profil des Ranunculus étant le plus équilibré de tout le tableau. Parmi les genres réunissant chacun moins de 40 taxons dans les Alpes, nombreux sont ceux dont la proportion de taxons comptant pour l'un ou l'autre niveau d'humidité atteint 100%. Voici une sélection d'exemples:

  • — très sec et sec: Scabiosa, Sempervivum et Thymus;

  • — sec: Astragalus, Dianthus et Rosa;

  • — humide: Cyperus, Eleocharis et Pinguicula;

  • — mouillé-aquatique: Callitriche, Typha et Utricularia.

7. Formes biologiques

Le tableau 5 exprime les pourcentages de taxons relevés dans les cinq niveaux de valeurs indicatrices d'humidité du sol, pour les sept catégories de formes biologiques étudiées précédemment (Aeschimann & al., 2012: 6, 9–11, 19). Le profil des chaméphytes est le plus xérophile, avec les pourcentages les plus élevés de taxons comptant pour les niveaux sec et très sec, respectivement 89,6% et 67,9%, ainsi que le pourcentage le plus bas dans le niveau mouillé-aquatique, soit 2,3%. Le profil des thérophytes est similaire à celui des chaméphytes, avec 87,5% de taxons comptant pour le niveau sec, mais il est cependant plus mésophile et montre des pourcentages plus élevés de taxons comptant pour les niveaux moyen, humide et mouillé-aquatique. Les hémicryptophytes montrent un profil assez équilibré et plutôt mésophile, avec un pourcentage maximal de taxons comptant pour le niveau moyen, soit 79,2%; comme catégorie la plus nombreuse avec 2483 taxons, c'est elle qui contribue le plus au profil global de la flore totale, indiqué en référence dans la colonne de droite. Le profil des phanérophytes est très similaire à celui des hémicryptophytes, mais avec une proportion de taxons comptant pour le niveau mouillé-aquatique inférieure de près de la moitié, peu d'espèces supportant l'asphyxie des sols mouillés. Le profil le plus équilibré et le plus mésophile est celui des géophytes, avec 80% de taxons comptant pour le niveau moyen et les pourcentages les plus équilibrés entre les niveaux secs et les niveaux humides. Quant aux profils des hélophytes et des hydrophytes, ils correspondent parfaitement aux définitions mêmes de ces deux catégories particulières des milieux humides à aquatiques.

Les pourcentages de taxons observés dans les cinq niveaux d'humidité peuvent être reliés aux caractéristiques macro-écologiques de chaque forme biologique et des formations végétales où elles sont importantes (Raunkiaer, 1934; Walter, 1985), ainsi qu'aux stratégies d'utilisation des ressources (Grime, 2001). Dans les Alpes, les formations forestières et arbustives où les phanérophytes dominent peuvent se rencontrer dans toutes les conditions d'humidité (si l'on excepte l'étage alpin et les milieux franchement aquatiques non concernés), tout en étant nettement plus diversifiées dans les milieux à humidité moyenne (prépondérants), mais aussi dans les milieux secs à très secs pour les formations arbustives notamment. Il en va de même pour les hémicryptophytes, qui sont en outre la forme dominante à l'étage alpin (Aeschimann & al., 2012: 10). Il n'est donc pas étonnant que le pourcentage de taxons comptant dans chacun des niveaux d'humidité corresponde assez fidèlement à celui de la flore totale, tant pour les phanérophytes que pour les hémicryptophytes.

Tableau 5.

Pourcentages de taxons comptant pour les cinq niveaux d'humidité du sol, calculés sur les nombres totaux de taxons indiqués entre crochets pour les sept catégories de formes biologiques, ainsi que pour la flore totale. En gras le plus haut pourcentage de chaque colonne, le maximum absolu étant de plus encadré.

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D'une manière générale, les chaméphytes prennent de l'importance dans les situations où la croissance est ralentie par une disponibilité limitée en ressources, notamment l'eau, ou par un facteur environnemental direct (froid, métaux toxiques, salinité) ou influençant indirectement les ressources (forte acidité du sol, espace limité). Dans les Alpes, les milieux limitatifs se rencontrent surtout en conditions de sécheresse (sols superficiels, rocheux, drainants, parois rocheuses). En situation de sécheresse, les thérophytes montrent une tolérance au stress, comme les chaméphytes.

L'abondance des géophytes en conditions moyennes d'humidité correspond à leur distribution principale dans les forêts décidues et dans les prés et pelouses mésophiles, en particulier pour les géophytes bulbeuses printanières à croissance hypogée vernale (Lapointe, 2001), ainsi que dans les pelouses et prés subalpins et alpins. Les conditions sèches, deuxième pôle de distribution, correspondent aux géophytes généralement printanières des pelouses sèches et des sols superficiels. En réalité, les taxons de ce deuxième groupe se développent aussi en conditions mésophiles durant la période hivernale et printanière.

Substrat

1. Données générales

Dans la flore totale (tableau 6), 91,7% des taxons comptent pour la catégorie de substrat préféré des roches calcaires («ca»), 89,7% pour les substrats intermédiaires («ca/si») et 76,2% pour les substrats siliceux («si»). Ces proportions confirment que les taxons calcicoles sont majoritaires en Europe centrale (Ewald, 2003). Parmi les indigènes (non endémiques), les proportions relatives sont identiques à celles de la flore totale, mais avec des pourcentages légèrement plus élevés. Le profil reste comparable pour les xénophytes, les pourcentages par catégorie de substrat s'approchant cependant des 100%, notamment pour les substrats intermédiaires (98,8%). Les xénophytes sont ainsi très nettement euryèces pour le substrat, une tolérance parmi d'autres qui leur confère de fortes potentialités colonisatrices (voir aussi les chapitres Humidité et Niveau trophique). En Corse, Jeanmonod & al. (2011: 91) ont obtenu des résultats comparables. En revanche, les proportions relatives entre les trois catégories de substrats diffèrent totalement pour les endémiques, surtout pour les substrats intermédiaires (61,7%) et siliceux (38,1%). La proportion de taxons sténoèces pour le substrat est donc plus élevée parmi les endémiques. D'une part, cela peut s'expliquer par le fait que de nombreux taxons endémiques des Alpes occupent des milieux extrêmes tels que les rochers et les éboulis (Pawlowski, 1970: 212–213; Ozenda, 1985: 62; Essl & al., 2009: 2553), auxquels ils sont fortement liés et où le déterminisme édaphique est considérable, ce qui se vérifie également au niveau européen (Hobohm, 2008: 16). D'autre part, ces taxons sont en majeure partie des endémiques locaux (Tribsch, 2004: 752; Essl & al., 2009: 2550–2551; Aeschimann & al., 2011a: 48–50), de secteurs où il n'y a pas eu ou que très peu de dispersion post-glaciaire (Tribsch & Schönswetter, 2003: 484). De ce fait, la probabilité est élevée que l'aire de distribution d'un taxon endémique local soit géographiquement limitée à un unique substrat.

Tableau 6.

Pourcentages de taxons comptant pour les trois catégories de substrat (partie supérieure), et exclusifs des trois catégories ainsi que de trois regroupements de catégories (partie inférieure), calculés sur les nombres totaux de taxons indiqués entre crochets pour la flore totale et ses sous-ensembles. En gras le plus haut pourcentage de chaque colonne pour chaque partie du tableau, le maximum absolu de chaque partie étant de plus encadré.

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La partie inférieure du tableau 6 liste les pourcentages de taxons exclusifs de chacune des trois catégories de substrat, ainsi que de trois regroupements de catégories. Ces résultats renforcent la démonstration de la partie supérieure du tableau, les proportions de taxons endémiques exclusifs étant partout nettement plus élevées, sauf évidemment pour le regroupement de tous les substrats, où le pourcentage d'endémiques est le plus faible, soit 22,4%. A l'inverse, 92% des xénophytes se retrouvent sur tous les substrats. On relève d'autre part qu'une large partie des endémiques est exclusive des substrats strictement calcaires (33,3%) et du regroupement des substrats calcaires et intermédiaires (61,7%), alors que pour les substrats siliceux et le regroupement des sub strats siliceux et intermédiaires, les pourcentages sont nettement inférieurs, respectivement 4,8% et 16,6%. Ces résultats s'expliquent en partie par le fait que les principaux refuges glaciaires périphériques sont majoritairement calcaires: extrémité sud-occidentale des Alpes d'une part et bordure méridionale des Alpes orientales d'autre part (voir le «Flora alpina», 1: 43, 45, ainsi que Pawlowski (1970: 189), Ozenda (1985: 62), Ewald (2003: 357, 364), Tribsch (2004: 755) et Aeschimann & al. (2011a: 50, 52)).

Parmi les 4024 taxons comptant pour les substrats intermédiaires (tableau 6: 89,7% de la flore totale), deux sont relevés comme préférant les basaltes et gabbros (dont un endémique: Saxifraga depressa), quatre comme préférant le gypse (dont un endémique: Onosma helvetica) et 23 comme préférant la serpentine et les roches vertes s.l. Neuf de ces 23 derniers taxons sont des endémiques (Campanula bertolae, Cardaminopsis pedemontana, Knautia ×norica, Phyteuma humile, Tephroseris serpentini, quatre (tableau 6: 0,8%) n'étant de plus relevés ni sur «ca» ni sur «si»: Alyssum argenteum, Dianthus carthusianorum subsp. capillifrons, Festuca eggleri et Sempervivum pittonii) et quatorze sont des indigènes, non endémiques (deux (tableau 6: 0,1%) n'étant de plus relevés ni sur «ca» ni sur «si»: Asplenium cuneifolium et Myosotis stenophylla).

Parmi les 24 taxons endémiques exclusifs des substrats siliceux (tableau 6 : 4,8%), quelques exemples classiques sont Campanula excisa, Festuca acuminata, Minuartia cherlerioides subsp. rionii, Potentilla grammopetala et Sempervivum grandiflorum.

2. Etages de vegetation

L'histogramme de la figure 8 montre que les pourcentages de taxons comptant pour les trois catégories de substrat diminuent tous en fonction de l'altitude, la flore devenant plus sténoèce pour le substrat au fur et à mesure que la profondeur du sol diminue, mais aussi que la proportion d'endémiques sténoèces augmente et que celle des xénophytes euryèces diminue (voir notamment Pawlowski (1970: 210), Becker & al. (2005: 178), Essl & al. (2009: 2552), Aeschimann & al. (2011b: 237), Alexander & al. (2011), Pysek & al. (2011) et Siniscalco & al. (2011: 156)). La diminution du pourcentage de taxons comptant pour les substrats calcaires est la plus marquée, passant de 94,5% à l'étage collinéen à 73,7% à l'étage nival. Les deux seules augmentations de pourcentage d'un étage à l'autre concernent les substrats siliceux et intermédiaires, de l'étage alpin à l'étage nival. Ces augmentations peuvent s'expliquer par le fait que l'étage nival se concentre essentiellement dans les secteurs internes de l'arc alpin, où dominent justement les substrats siliceux et intermédiaires. Ainsi, la proportion de taxons comptant pour les substrats siliceux passe de 70% à 78,9% de l'étage alpin à l'étage nival, alors qu'à l'inverse celle des taxons comptant pour les substrats calcaires passe de 85,1% à 73,7% de l'un à l'autre de ces étages.

Fig. 8.

Pourcentages de taxons comptant pour les trois catégories de substrat, dans chacun des cinq étages de végétation, calculés sur le nombre total de taxons recensés dans l'étage, indiqué entre crochets.

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3. Patrons cartographiques

Malgré le fait que de nombreuses divisions administratives chevauchent des chaînes calcaires et des massifs siliceux (voir le «Flora alpina», 1: 43), les pourcentages de taxons comptant pour les trois catégories de substrat permettent de dresser des cartes de l'arc alpin qui révèlent des patrons instructifs. C'est le cas de la figure 9, où sont reportés les pourcentages de taxons comptant pour les substrats calcaires. Les divisions largement dominées par des substrats calcaires y sont mises en évidence, en noir: 4 (Drôme et Vaucluse); 18, 28 et 29 (bordure septentrionale des Alpes orientales, des Alpes bavaroises à la Basse-Autriche); 22, 23 et 26 (bordure méridionale des Alpes orientales, du Monte Baldo à la Slovénie). A l'inverse, les divisions où les substrats siliceux dominent largement ressortent aussi sur le patron, mais en blanc: 1, 6, 7 et 16 (Piémont italien, Val d'Aoste et Tessin). D'autre part, les régions internes des Alpes orientales p. ex., où les substrats siliceux sont bien représentés, sont relativement bien classées (notamment les divisions 20, 25 et 27 en gris clair, du Tirol méridional à la Styrie). En revanche, du fait des chevauchements évoqués plus haut, le classement de certaines divisions doit être interprété de manière partagée. C'est notamment le cas de la division 17 (Alpes bergamasques, brescianes, orobiques et valtelinaises), où les substrats siliceux dominent dans le nord, alors que le sud est franchement calcaire. Ici, la bordure méridionale calcaire des Alpes orientales, mentionnée plus haut à propos des divisions 22, 23 et 26, n'est malheureusement pas mise en évidence par le patron. Pour certaines divisions, la lecture de la figure 9 exige dès lors une certaine prudence (c'est surtout le cas des divisions 2, 3, 8, 9 et 17). Sur la carte regroupant les pourcentages de taxons comptant pour les substrats siliceux (non développée ici), la division 7 (Val d'Aoste, région très siliceuse) est la seule dont le pourcentage est supérieur à 90% (90,1%), alors que la division 23 (Alpes frioulanes, région très calcaire) est la seule dont le pourcentage est inférieur à 80% (79,6%).

Fig. 9.

Carte de la dition avec, par division administrative, le pourcentage de taxons comptant pour la catégorie de substrat préféré des roches calcaires («ca»), seule la flore indigène totale (endémiques+indigènes) étant ici considérée. Quatre classes sont définies : blanc : 92,1%; gris clair : 92,2–93,6%; gris foncé : 93,7–95,1 %; noir : 95,2%.

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Pour les endémiques, des patrons ont été établis pour les taxons qui n'occupent que 1 à 3 divisions (endémisme local, voir Aeschimann & al., 2011a: 52). Le patron de la figure 10 montre que plus de 85% des taxons endémiques locaux comptent pour les substrats calcaires dans les divisions 2 à 5 (Alpes françaises du sud), 17, 21 à 23 et 26 (bordure méridionale des Alpes orientales), ainsi que 28 et 29 (Haute- et Basse-Autriche), indiquées en noir. On dénombre en revanche moins de 75% d'endémiques locaux comptant pour les substrats calcaires dans les divisions 6 et 16 (de la province de Turin au Tessin), ainsi que 27 (Styrie), indiquées en gris clair. Le classement des divisions 2, 3 et 17 (différent de celui de la flore indigène totale, fig. 9) montre que les taxons endémiques locaux sont majoritairement calcicoles dans ces régions. La figure 10 donne ainsi une image plus complète de la bordure méridionale calcaire des Alpes orientales que la figure 9. Cette image montre une congruence élevée avec un patron correspondant établi par Tribsch & Schönswetter (2003: 485). Le patron de la figure 11 montre que parmi les endémiques locaux, au maximum 20% d'entre eux comptent pour les substrats siliceux dans les divisions 4 et 5 (Drôme, Vaucluse et Hautes-Alpes), 17, 21 à 23, 26, 28 et 29, indiquées en gris clair, alors que cette proportion est supérieure ou égale à 57% dans les divisions 1 et 6 (provinces de Cuneo et de Turin), dominées par des substrats siliceux et indiquées en noir. Pour les Alpes françaises du sud, les patrons des figures 10 et 11 corroborent les résultats de Médail & Verlaque (1997: 273) et Noble & Diadema (2011: 65) quant à la prédominance des endémiques calcicoles. Parmi les taxons endémiques locaux du sud des Alpes occidentales et qui comptent pour les substrats calcaires, quelques exemples sont Arenaria cinerea, Cytisus sauzeanus, Leucanthemum burnatii, Moehringia intermedia, Moehringia lebrunii, Primula allionii et Teucrium lucidum. Parmi les endémiques locaux de la bordure méridionale des Alpes orientales, qui comptent aussi pour les substrats calcaires, quelques exemples sont Campanula raineri, Campanula zoysii, Galium montisarerae, Primula tyrolensis, Ranunculus bilobus, Rhizobotrya alpina et Silene elisabethae, alors qu'en Haute- et Basse-Autriche, quelques exemples sont Achillea clusiana, Callianthemum anemonoides, Campanula praesignis, Dianthus alpinus et Thymus widderi. Parmi les taxons endémiques locaux qui comptent pour les substrats siliceux dans les provinces de Cuneo et de Turin, quelques exemples sont Campanula elatines, Cerastium lineare, Potentilla valderia, Saxifraga florulenta, Saxifraga pedemontana, Sedum alsinefolium et Senecio persoonii.

Etant donné que les endémiques sont en majorité calcicoles dans l'arc alpin (tableau 6, voir aussi les résultats comparables de Essl & al. (2009: 2550) et Rabitsch & Essl (2009: 894) pour l'Autriche), les patrons d'endémisme local des figures 10 et 11 montrent clairement que le Piémont italien, où dominent les substrats siliceux, est une importante barrière géologique pour nombre d'endémiques (voir aussi Schönswetter & al., 2005: 3548). Cela permet d'expliquer en partie le bicentrisme mis en évidence précédemment (Aeschimann & al., 2011a: 49–53; 2011b: 238–242) en matière d'endémisme dans les Alpes. Cependant, il ne faut pas négliger le rôle également très important joué par les glaciations (voir plus haut). Seule une prise en compte coordonnée des paramètres géologiques et glaciologiques permet une compréhension complète de l'endémisme dans l'arc alpin.

4. Contingents floristiques

Le tableau 7 exprime les pourcentages de taxons comptant pour les trois catégories de substrat préféré, dans les principaux contingents floristiques déjà étudiés plus haut (tableau 2). Pour les taxons recensés dans le cortège floristique sud-européenmontagnard, les trois pourcentages sont plus élevés que ceux relevés parmi les endémiques (tableau 6). On en déduit que les 761 taxons venant s'ajouter aux 501 endémiques pour constituer le cortège des 1262 taxons sud-européens-montagnards sont généralement moins sténoèces pour le substrat que les endémiques. Parmi les 779 taxons recensés dans le cortège floristique méditerranéen, 94,5% comptent pour les substrats calcaires et encore 94% pour les substrats intermédiaires, mais 77,5% pour les substrats siliceux. C'est dire que le cortège méditerranéen est globalement assez euryèce pour le substrat, avec toutefois une dominance calcicole, en accord avec la dominance des pH élevés dans la région méditerranéenne (Hobohm, 2008: 17). Les pourcentages relevés pour les trois autres contingents (européen, eurasiatique et arcticoalpin) dépassent tous 80%, un indice de taxons généralement euryèces, ce qui se confirme par des pourcentages très élevés (> 94%) de taxons comptant pour les substrats intermédiaires.

Tableau 7.

Pourcentages de taxons comptant pour les trois catégories de substrat, calculés sur les nombres totaux de taxons indiqués entre crochets pour cinq contingents floristiques sélectionnés, ainsi que pour la flore totale. En gras le plus haut pourcentage de chaque colonne, le maximum absolu étant de plus encadré.

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Le profil du cortège sud-européen-montagnard est celui qui s'écarte le plus de celui de la flore totale, avec des pourcentages nettement inférieurs pour les substrats intermédiaires (74,6%) et, tout particulièrement, siliceux (52,4%). Les proportions relatives de taxons comptant pour chacun des substrats dans les contingents méditerranéen, européen et eurasiatique montrent le même profil que celui de la flore totale (mais avec des pourcentages un peu plus élevés). Le contingent eurasiatique est à la fois le plus euryèce pour le substrat et fortement calcicole («ca» = 97,3%; «ca/si» = 98,4%). La proportion très élevée de taxons eurasiatiques calcicoles s'explique par le maintien d'un pH élevé des sols sur le continent eurasiatique durant le Pléistocène, notamment durant la dernière glaciation, du fait de l'aridité du climat (absence de lessivage des sols), des apports éoliens (loess riches en calcium) et des phénomènes de cryoturbation (rajeunissement constant des sols avec remontée en surface de matériel non altéré) (Guthrie, 2001; Walker & al., 2001; Pärtel, 2002; Chytry & al., 2007). Cette même hypothèse peut s'appliquer au contingent européen, à la fois lui aussi euryèce pour le substrat et plutôt calcicole. Tout en étant euryèce pour le substrat avec 95,2% de taxons comptant pour les substrats intermédiaires, le cortège floristique arctico-alpin est plutôt silicicole, avec un pourcentage plus bas de taxons comptant pour les substrats calcaires (83,7%) et, à l'opposé, un pourcentage plus élevé de taxons comptant pour les substrats siliceux (88,5%).

Fig. 10.

Carte de la dition avec, par division administrative, le pourcentage de taxons endémiques locaux (cf. texte) comptant pour la catégorie de substrat préféré des roches calcaires: «ca». Trois classes sont définies: gris clair: 74%; gris foncé: 75–84%; noir: 85%. En blanc, les divisions comptant moins de huit endémiques locaux ne sont ici pas documentées.

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Fig. 11.

Carte de la dition avec, par division administrative, le pourcentage de taxons endémiques locaux (cf. texte) comptant pour la catégorie de substrat préféré des roches siliceuses: «si». Trois classes sont définies: gris clair: 24%; gris foncé: 25–54%; noir: 55%. En blanc, les divisions comptant moins de huit endémiques locaux ne sont ici pas documentées.

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5. Familles

Parmi les douze familles réunissant chacune plus de 100 taxons dans les Alpes (Aeschimann & al., 2011a: 39), dix montrent une proportion maximale de taxons comptant pour les substrats calcaires (tableau 8). Seules les Cyperaceae et les Scrophulariaceae ont une proportion très légèrement supérieure de taxons comptant pour les substrats intermédiaires. Toutes les familles du tableau 8 montrent donc des proportions inférieures de taxons comptant pour les substrats siliceux et les écarts de pourcentages entre «ca» et «si» s'échelonnent entre 3,8% chez les Cyperaceae et 30% chez les Apiaceae. Parmi ces douze familles, la tendance générale est donc calcicole, mais nettement moins marquée chez les Cyperaceae, les Poaceae, les Rosaceae et les Scrophulariaceae (écarts entre «ca» et «si» < 10%), ces quatre familles réunissant beaucoup de taxons euryèces pour le substrat, alors que chez les Apiaceae, les Brassicaceae, les Fabaceae, les Lamiaceae et les Liliaceae (écarts entre «ca» et «si» > 20%) la tendance calcicole est la plus prononcée. Les Lamiaceae réunissent le plus de taxons comptant pour les substrats calcaires, soit 100%, alors que les Fabaceae rassemblent le moins de taxons comptant pour les substrats siliceux, soit 66,8%, ainsi que plus de taxons sténoèces pour le substrat que les Lamiaceae. Avec un pourcentage de taxons relativement bas dans chacune des trois catégories, les Caryophyllaceae réunissent beaucoup de taxons sténoèces pour le substrat, que ce soit sur calcaire ou sur silice. En effet, cette famille compte 46 taxons endémiques, soit une proportion élevée de 21,6% (Aeschimann & al., 2011a: 46–47).

Tableau 8.

Pourcentages de taxons comptant pour les trois catégories de substrat, calculés sur les nombres totaux de taxons recensés dans les douze familles réunissant chacune plus de 100 taxons dans les Alpes, ainsi que pour la flore totale. La colonne de droite donne les soustractions «ca» - «si». En gras les trois plus hauts pourcentages des colonnes «ca» et «ca» - «si», ainsi que les trois plus bas pourcentages de la colonne «si». De plus encadrés : le maximum absolu de chacune des colonnes «ca» et «ca» - «si», ainsi que le minimum absolu de la colonne «si».

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6. Genres

Parmi les quinze genres réunissant chacun au moins 40 taxons dans les Alpes (Aeschimann & al., 2011a: 39), huit montrent une proportion maximale de taxons comptant pour les substrats calcaires (tableau 9) et six pour les substrats intermédiaires. Seul le genre Silene montre des proportions égales de taxons comptant pour les substrats calcaires et intermédiaires (80%). Deux genres montrent une proportion de taxons comptant pour les substrats siliceux supérieure à celle des taxons comptant pour les substrats calcaires: Trifolium (écart de pourcentages entre «ca» et «si» = -19,5%) et Hieracium (écart = -4,9%). Trois genres à tendance calcicole marquée montrent à l'inverse un écart de pourcentages entre «ca» et «si» supérieur à 34%, ce sont Campanula, Gentiana et Euphorbia. Avec la plus forte proportion de taxons comptant pour les substrats calcaires, soit 100%, ainsi que la plus faible proportion de taxons comptant pour les substrats siliceux, soit 44,2%, le genre Euphorbia montre le plus important écart de pourcentages entre «ca» et «si», soit 55,8%. De ce fait, c'est le genre qui présente la tendance calcicole la plus prononcée parmi ceux listés sur le tableau 9. Avec un pourcentage de taxons relativement bas dans chacune des trois catégories, le genre Saxifraga réunit beaucoup de taxons sténoèces pour le substrat (la plupart rupestres), que ce soit sur calcaire ou sur silice. En effet, ce genre compte 28 taxons endémiques, soit une proportion très élevée de 47,5% (Aeschimann & al., 2011a: 47).

Tableau 9.

Pourcentages de taxons comptant pour les trois catégories de substrat, calculés sur les nombres totaux de taxons recensés dans les quinze genres réunissant chacun au moins 40 taxons dans les Alpes, ainsi que pour la flore totale. La colonne de droite donne les soustractions «ca» - «si». En gras les trois plus hauts pourcentages des colonnes «ca» et «ca» - «si», ainsi que les trois plus bas pourcentages de la colonne «si». De plus encadrés: le maximum absolu de chacune des colonnes «ca» et «ca» - «si», ainsi que le minimum absolu de la colonne «si».

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7. Formes biologiques

Du point de vue des substrats calcaires (tableau 10), ce sont les géophytes qui comptent le pourcentage de taxons le plus élevé (96,4%), alors que les hydrophytes ressortent nettement avec seulement 80,8% de leurs taxons comptant pour cette catégorie. Pour les substrats siliceux, quatre formes biologiques présentent un pourcentage plus élevé que celui de la flore totale, en particulier les hydrophytes avec 97% de taxons comptant pour ces substrats, alors qu'à l'inverse les chaméphytes y montrent le pourcentage le plus bas (60,6%). Au vu de leurs trois pourcentages relativement bas, les chaméphytes sont les plus sténoèces pour le substrat, en accord avec leur tolérance aux conditions extrêmes. Le profil des hémicryptophytes est celui qui se rapproche le plus de celui de la flore totale, auquel ils contribuent fortement de par leur nombre (2483 taxons). Les phanérophytes et les hélophytes montrent des profils centrés sur les substrats intermédiaires et très similaires entre eux. Le profil des thérophytes, également centré sur les substrats intermédiaires, est le plus équilibré entre «ca» et «si». La tendance silicicole très marquée des hydrophytes constitue une exception notable au sein d'une flore dominée par les taxons calcicoles. Cette situation est sans aucun doute à mettre au compte du caractère subcosmopolite de la flore aquatique des eaux douces en général, grâce aux transports à longues distances par les oiseaux d'eau (Brown & Lomolino, 1998: 299; Les & al., 2003). Du fait d'une large dispersion, les hydrophytes ont sans doute été moins vulnérables aux glaciations, selon l'hypothèse de l'appauvrissement sélectif de la flore pléistocène des habitats acides (Ewald, 2003: 364) et, ainsi, ont pu conserver plus facilement un pool de taxons liés aux milieux acides.

Tableau 10.

Pourcentages de taxons comptant pour les trois catégories de substrat, calculés sur les nombres totaux de taxons indiqués entre crochets pour les sept catégories de formes biologiques, ainsi que pour la flore totale. En gras le plus haut pourcentage de chaque colonne, le maximum absolu étant de plus encadré.

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Niveau trophique

1. Données générales

Dans la flore totale (tableau 11), 93,6% des taxons comptent pour le niveau trophique du sol mésotrophe, 78,4% pour le niveau oligotrophe et 49,1% pour le niveau eutrophe, révélant une tendance générale plutôt oligotrophe. Ceci est confirmé par le fait que 50,8% des taxons comptent exclusivement pour le regroupement de niveaux oligotrophe-mésotrophe, et qu'à l'opposé du gradient on ne compte que 21,5% de taxons exclusifs du regroupement mésotrophe-eutrophe. Les pourcentages relevés chez les indigènes (non endémiques) sont très comparables à ceux de la flore totale. Chez les endémiques, la proportion de taxons comptant pour le niveau oligotrophe est nettement plus élevée (95,4%), alors que celle du niveau eutrophe est beaucoup plus basse (14,8%). La tendance plus oligotrophe des endémiques se confirme avec 11,6% de taxons exclusivement oligotrophes, 85,2% de taxons exclusivement oligo-mésotrophes et peu de taxons eurytrophes comptant pour les trois niveaux (10,2%). Pour leur part, les xénophytes comptent une proportion un peu plus élevée (96,2%) de taxons comptant pour le niveau mésotrophe que celle observée pour la flore indigène totale (endémiques+indigènes). En revanche, ils diffèrent fondamentalement de celleci par la proportion très élevée (87,3%) de taxons comptant pour le niveau eutrophe et par celle nettement plus basse (51,8%) de taxons comptant pour le niveau oligotrophe. La tendance eutrophe des xénophytes est vérifiée avec 48,2% de taxons exclusivement méso-eutrophes et seulement 12,7% de taxons exclusivement oligo-mésotrophes. Presque tout le reste (39%) correspond à des taxons eurytrophes comptant pour les trois niveaux, un résultat complémentaire expliquant les facultés colonisatrices de nombre de xénophytes (voir aussi des remarques similaires dans les chapitres Humidité et Substrat).

Tableau 11.

Pourcentages de taxons comptant pour les trois niveaux trophiques du sol (partie supérieure), et exclusifs des trois niveaux ainsi que de trois regroupements de niveaux (partie inférieure), calculés sur les nombres totaux de taxons indiqués entre crochets pour la flore totale et ses sous-ensembles. En gras le plus haut pourcentage de chaque colonne pour chaque partie du tableau, le maximum absolu de chaque partie étant de plus encadré.

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Parmi les 49 taxons indigènes (non endémiques) exclusifs du niveau eutrophe (tableau 11: 1,4%), quelques exemples classiques sont Alliaria petiolata, Arctium lappa, Asperugo procumbens, Chenopodium bonus-henricus, Galeopsis tetrahit, Galium aparine, Rumex alpinus, Senecio alpinus et Urtica dioica.

2. Etages de vegetation

L'histogramme de la figure 12 montre que le pourcentage de taxons comptant pour le niveau eutrophe diminue fortement et régulièrement en fonction de l'altitude, passant de 55,6% à l'étage collinéen pour s'établir à seulement 10,5% à l'étage nival. A l'inverse, le pourcentage de taxons comptant pour le niveau oligotrophe augmente de 74,9% à 98,7% de l'étage collinéen à l'étage nival. De l'étage collinéen à l'étage alpin, le pourcentage de taxons comptant pour le niveau mésotrophe ne diminue que légèrement (de 94,9% à 90,5%), mais la diminution de ce pourcentage s'accentue lors du passage à l'étage nival (82,2%). La flore d'altitude est donc très nettement oligo-mésotrophe. Les gradients des trois niveaux trophiques en fonction de l'altitude reflètent bien la diminution de la production annuelle de biomasse avec l'altitude, du fait de la diminution régulière de la période de végétation liée à la diminution adiabatique de la température de l'air, avec comme conséquence une diminution de l'activité biologique au niveau des sols (Körner, 2003). Ces gradients sont aussi à mettre en relation avec l'augmentation de la proportion d'endémiques oligotrophes en fonction de l'altitude, ainsi qu'avec la diminution de celle des xénophytes méso-eutrophes (Aeschimann & al., 2011b: 237).

Fig. 12.

Pourcentages de taxons comptant pour les trois niveaux trophiques du sol, dans chacun des cinq étages de végétation, calculés sur le nombre total de taxons recensés dans l'étage, indiqué entre crochets.

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3. Contingents floristiques

Le tableau 12 exprime les pourcentages de taxons comptant pour les trois niveaux trophiques, dans les principaux contingents floristiques déjà étudiés plus haut (tableaux 2 et 7). Les contingents méditerranéen et européen ont des profils très similaires et comparables à celui de la flore totale. Alors que les pourcentages relevés dans le niveau oligotrophe arrivent en seconde position et devancent nettement ceux du niveau eutrophe pour les contingents méditerranéen et européen, les pourcentages de ces deux niveaux sont presque équivalents pour le contingent eurasiatique, celui du niveau eutrophe (67,2%) étant très légèrement supérieur à celui du niveau oligotrophe (66,1%). Très similaires entre eux, les profils des cortèges floristiques sud-européen-montagnard et arctico-alpin diffèrent de ceux des contingents précédents par une proportion plus élevée de taxons dans le niveau oligotrophe et nettement plus faible dans le niveau eutrophe, mais des proportions pour le niveau mésotrophe du même ordre de grandeur que celle de la flore totale. Ces deux cortèges sont donc oligo-mésotrophes et comme ils sont dominants en altitude (Aeschimann & al., 2011b: 246), leurs profils permettent de compléter l'interprétation de la figure 12, relative aux étages de végétation.

4. Familles

Parmi les douze familles réunissant chacune plus de 100 taxons dans les Alpes (Aeschimann & al., 2011a: 39), dix montrent une proportion maximale de taxons comptant pour le niveau mésotrophe (tableau 13). Seules les Caryophyllaceae et les Cyperaceae ont une proportion légèrement supérieure de taxons comptant pour le niveau oligotrophe. Toutes les familles du tableau 13 montrent donc des proportions inférieures de taxons comptant pour le niveau eutrophe et les écarts de pourcentages entre niveaux oligo- et eutrophe s'échelonnent entre 13,7% chez les Scrophulariaceae et 59,1% chez les Caryophyllaceae. Les trois familles qui montrent la plus faible proportion de taxons comptant pour le niveau eutrophe sont les Caryophyllaceae (29%), les Cyperaceae (36,9%) et les Fabaceae (41,4%), alors que celles qui montrent la plus forte proportion de taxons comptant pour ce niveau sont les Liliaceae (61,5%), les Rosaceae (58%) et les Ranunculaceae (57,6%). Parmi les familles réunissant chacune moins de 100 taxons dans les Alpes, nombreuses sont celles dont la proportion de taxons comptant pour l'un ou l'autre niveau trophique atteint 100%. Voici une sélection d'exemples:

  • — oligotrophe: Cistaceae, Ericaceae et Orchidaceae;

  • — eutrophe: Chenopodiaceae, Solanaceae et Urticaceae.

Tableau 12.

Pourcentages de taxons comptant pour les trois niveaux trophiques du sol, calculés sur les nombres totaux de taxons indiqués entre crochets pour cinq contingents floristiques sélectionnés, ainsi que pour la flore totale. En gras le plus haut pourcentage de chaque colonne, le maximum absolu étant de plus encadré.

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Tableau 13.

Pourcentages de taxons comptant pour les trois niveaux trophiques du sol, calculés sur les nombres totaux de taxons recensés dans les douze familles réunissant chacune plus de 100 taxons dans les Alpes, ainsi que pour la flore totale. La colonne de droite donne les soustractions oligotrophe — eutrophe. En gras les trois plus hauts pourcentages des colonnes oligotrophe et oligotrophe — eutrophe, ainsi que les trois plus bas pourcentages de la colonne eutrophe. De plus encadrés : le maximum absolu de chacune des colonnes oligotrophe et oligotrophe — eutrophe, ainsi que le minimum absolu de la colonne eutrophe.

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5. Genres

Parmi les quinze genres réunissant chacun au moins 40 taxons dans les Alpes (Aeschimann & al., 2011a: 39), neuf montrent une proportion maximale de taxons comptant pour le niveau mésotrophe (tableau 14) et cinq pour le niveau oligotrophe (Carex, Festuca, Hieracium, Saxifraga et Trifolium). Seul le genre Centaurea montre des proportions égales de taxons comptant pour les niveaux oligo- et mésotrophe (93%). Seul le genre Veronica montre une proportion de taxons comptant pour le niveau eutrophe supérieure à celle des taxons comptant pour le niveau oligotrophe (écart de pourcentages entre niveaux oligo- et eutrophe = -7,4%). De ce fait, c'est le genre qui présente la tendance eutrophe la plus prononcée parmi ceux listés sur le tableau 14 (65,9% de taxons comptant pour ce niveau); viennent ensuite les genres Euphorbia (62,8%) et Ranunculus (60,7%). Trois genres montrent à l'inverse un écart de pourcentages entre niveaux oligo- et eutrophe supérieur à 79%, ce sont Gentiana (79,6%), Saxifraga (83,1%) et Hieracium (85,4%). Le profil de ces trois genres montre donc une composante eutrophe très faible, avec moins de 16% de taxons comptant pour ce niveau. Parmi les genres réunissant chacun moins de 40 taxons dans les Alpes, nombreux sont ceux dont la proportion de taxons comptant pour l'un ou l'autre niveau trophique atteint 100%. Voici une sélection d'exemples:

  • — oligotrophe: Asplenium, Dianthus et Rosa;

  • — eutrophe: Amaranthus, Fumaria et Valerianella.

Tableau 14.

Pourcentages de taxons comptant pour les trois niveaux trophiques du sol, calculés sur les nombres totaux de taxons recensés dans les quinze genres réunissant chacun au moins 40 taxons dans les Alpes, ainsi que pour la flore totale. La colonne de droite donne les soustractions oligotrophe - eutrophe. En gras les trois plus hauts pourcentages des colonnes oligotrophe et oligotrophe - eutrophe, ainsi que les trois plus bas pourcentages de la colonne eutrophe. De plus encadrés : le maximum absolu de chacune des colonnes oligotrophe et oligotrophe - eutrophe, ainsi que le minimum absolu de la colonne eutrophe.

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6. Formes biologiques

Le tableau 15 exprime les pourcentages de taxons comptant pour les trois niveaux trophiques, dans les sept catégories de formes biologiques étudiées plus haut (tableaux 5 et 10). Les profils des phanérophytes, des hémicryptophytes et des géophytes sont assez similaires à celui de la flore totale (indiqué en référence dans la colonne de droite) et montrent donc une tendance méso-oligotrophe. Le profil des hydrophytes est assez comparable, mais plus équilibré. Quant aux hélophytes et aux thérophytes, ils montrent également un pourcentage maximal de taxons comptant pour le niveau mésotrophe, mais les pourcentages relevés dans le niveau eutrophe arrivent en seconde position et devancent nettement ceux du niveau oligotrophe. La seule catégorie présentant un profil vraiment différent est celle des chaméphytes, avec 97% de taxons comptant pour le niveau oligotrophe et seulement 12,5% pour le niveau eutrophe. Ce sont les pourcentages le plus élevé et le plus bas du tableau 15. Un tel profil est comparable à celui des endémiques (tableau 11), pour lesquels la proportion de chaméphytes est 2,2 fois plus élevée que chez les indigènes (non endémiques) et 4,5 fois plus élevée que chez les xénophytes (Aeschimann & al., 2012: 9). Comme pour les niveaux d'humidité du sol, on peut faire les mêmes observations à propos des chaméphytes concernant les niveaux trophiques. En effet, le pourcentage élevé de taxons comptant dans le niveau oligotrophe confirme l'adaptation de cette forme biologique aux situations où les ressources sont limitées, en l'occurrence les éléments nutritifs tels que l'azote et le phosphore, dans certains des milieux qu'ils occupent (sols acides, superficiels, rocheux, fortement drainants).

Corrélations entre facteurs

1. Humidité - substrat

Globalement, les coefficients de corrélation sont très faibles entre les cinq niveaux de valeurs indicatrices d'humidité du sol et les trois catégories de substrat préféré (tableau 16), une majorité de taxons ayant une assez large amplitude écologique. Néanmoins, même si les coefficients sont bas, la significativité statistique est très élevée. On relève de légères corrélations négatives entre le niveau très sec et les substrats intermédiaires (-0,1), ainsi que siliceux (-0,17), qui sont des substrats en général plus imperméables, plus riches en argile pour les premiers, moins fracturés pour les deuxièmes; de même entre le niveau sec et les substrats siliceux (-0,13). A l'inverse, et pour les mêmes raisons, on note de légères corrélations positives entre le niveau humide et les substrats intermédiaires (0,11), ainsi que siliceux (0,16); de même entre le niveau mouillé-aquatique et les substrats siliceux (0,11).

Tableau 15.

Pourcentages de taxons comptant pour les trois niveaux trophiques du sol, calculés sur les nombres totaux de taxons indiqués entre crochets pour les sept catégories de formes biologiques, ainsi que pour la flore totale. En gras le plus haut pourcentage de chaque colonne, le maximum absolu étant de plus encadré.

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Tableau 16.

Valeurs du coefficient de corrélation «r» de Pearson entre les cinq niveaux d'humidité du sol et les trois catégories de substrat (partie supérieure), ainsi qu'avec les trois niveaux trophiques (partie inférieure). Trois classes sont définies : blanc : 0–0,09 ; gris clair : 0,1–0,19; gris foncé : 0,2. Significativité statistique : * p < 0,05; ** p < 0,01; *** p < 0,001.

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2. Humidité — niveau trophique

Du niveau très sec à l'humide, le coefficient de corrélation avec le niveau oligotrophe passe de 0,23 à -0,22, alors qu'à l'inverse avec le niveau eutrophe ce coefficient passe de -0,28 à 0,27 (tableau 16). C'est dire que les taxons xérophiles ont tendance à être oligotrophes, les sols très secs ayant une faible activité biologique, alors que les taxons hygrophiles ont tendance à être eutrophes, les sols bien pourvus en eau ayant au contraire une bonne activité biologique, si celle-ci n'est pas limitée par un autre facteur (froid, acidité).

3. Niveau trophique — substrat

Les coefficients de corrélation positifs les plus forts (tableau 17) sont relevés entre le niveau eutrophe et les substrats siliceux (0,30) et intermédiaires (0,26); le coefficient négatif le plus fort est relevé entre le niveau oligotrophe et les substrats siliceux également (-0,20). Les corrélations entre les catégories de substrat et les niveaux trophiques vont dans le même sens car d'autres facteurs déterminants interviennent dans la relation. Les corrélations mises en évidence ne sont donc pas contradictoires. On peut ainsi trouver des milieux oligotrophes aussi bien sur calcaire que sur silice. Toutefois, bien que la corrélation soit négative, elle est moins forte pour les substrats calcaires, en accord avec les résultats du tableau 16. En effet, les deux niveaux très sec et sec montrent à la fois une corrélation positive avec le niveau oligotrophe et une corrélation négative avec les substrats siliceux. De même, on peut trouver des milieux eutrophes sur calcaire et sur silice. Ici, le raisonnement est inverse par rapport aux résultats du tableau 16: le niveau eutrophe montre une corrélation positive avec le niveau humide, qui montre à son tour une corrélation positive avec les substrats siliceux.

Tableau 17.

Valeurs du coefficient de corrélation «r» de Pearson entre les trois niveaux trophiques et les trois catégories de substrat. Trois classes sont définies: blanc : 0-0,09 ; gris clair : 0,1-0,19; gris foncé : 0,2 (0,3 en gras). Significativité statistique : ** p < 0,01; *** p < 0,001.

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Conclusions

Humidité

  1. Parmi les 4485 taxons recensés dans les Alpes, 78% comptent pour le niveau sec des valeurs indicatrices du sol et 50% pour le niveau très sec. La tendance xérophile est plus marquée chez les endémiques, avec 86% de taxons comptant pour le niveau sec. En revanche, le profil des xénophytes est plus équilibré: 84% comptent pour le niveau moyen et 50% sont exclusifs du regroupement sec - moyen - humide, indiquant une assez large tolérance pour ce qui est de l'humidité du sol.

  2. La proportion de taxons relevés dans le niveau sec pour la flore totale est stable dans tous les étages de végétation. En revanche, les pourcentages de taxons comptant pour les niveaux très sec et mouillé-aquatique diminuent en fonction de l'altitude, alors que ceux pour les niveaux moyen et humide augmentent. L'évolution de ces proportions au fil des étages de végétation suggère une corrélation avec la diminution de la température de l'air et l'augmentation des précipitations, impliquant une diminution des milieux très secs et une augmentation des conditions moyennes et humides. La diminution de la proportion de taxons dans le niveau mouillé-aquatique est liée aux conditions géomorphologiques.

  3. De fortes corrélations positives existent entre les pourcentages de taxons relevés dans les niveaux très sec et sec et le poids relatif du cortège floristique méditerranéen (R2 = 0,90 et 0,88 respectivement). A l'inverse, de fortes corrélations négatives existent entre les pourcentages de taxons relevés dans les niveaux humide et mouillé-aquatique et le poids du cortège méditerranéen (R2 = 0,89 et 0,80 respectivement). Les endémiques xérophiles dominent les deux principaux foyers d'endémisme (extrémité méridionale des Alpes occidentales et sud-ouest des Alpes orientales), alors que ce n'est pas le cas dans les Alpes est-orientales.

  4. Près de 94% des taxons du cortège floristique méditerranéen comptent pour le niveau sec et 83% pour le niveau très sec, ce qui corrobore les corrélations de la section précédente. Quant aux contingents sud-européen-montagnard et européen, le pourcentage maximal est toujours relevé dans le niveau sec (85% et 77% respectivement), mais on compte en revanche 83% et 76% de taxons dans le niveau moyen. La forte proportion de taxons comptant pour les niveaux sec et très sec dans le contingent européen semble résulter de conditions paléo-climatiques steppiques très arides qui régnaient durant la dernière glaciation en Europe. Pour les contingents eurasiatique et arctico-alpin, le pourcentage maximal est relevé dans le niveau moyen (76% et 89% respectivement). Le cortège arctico-alpin montre des proportions supérieures à celles des quatre autres contingents dans les niveaux moyen, humide et mouillé-aquatique.

  5. Parmi les douze familles réunissant chacune plus de 100 taxons dans les Alpes, les Fabaceae sont celle dont le pourcentage de taxons dans le niveau sec est le plus élevé (96%) et, à l'inverse, celle qui montre les plus faibles pourcentages dans les niveaux humide (21%) et mouillé-aquatique (1%). Les Cyperaceae montrent au contraire les proportions maximales de taxons des niveaux humide (79%) et mouillé-aquatique (39%), ainsi que les plus faibles pourcentages des niveaux sec (29%) et très sec (19%). Le profil des Ranunculaceae est le plus équilibré, avec une proportion maximale de taxons dans le niveau moyen (81%).

  6. Parmi les quinze genres réunissant chacun au moins 40 taxons dans les Alpes, les Centaurea et les Hieracium sont ceux où le pourcentage de taxons dans le niveau sec est le plus élevé (100%). Les Carex montrent les proportions maximales de taxons des niveaux humide (73%) et mouillé-aquatique (33%), mais cependant des pourcentages de taxons relativement élevés dans les niveaux moyen (67%), sec (39%) et très sec (26%). Les genres Gentiana, Ranunculus, Saxifraga et Viola sont ceux qui montrent la proportion de taxons la plus élevée dans le niveau moyen.

  7. Avec 90% de taxons comptant dans le niveau sec et 68% dans le très sec, le profil des chaméphytes est le plus xérophile. Cette forme biologique prend de l'importance dans les situations où la croissance est ralentie par une disponibilité limitée en ressources, notamment l'eau. Le profil des thérophytes est similaire à celui des chaméphytes, mais moins extrême. Les hémicryptophytes montrent un profil plutôt mésophile, comme les phanérophytes, mais celui des géophytes est le plus équilibré et le plus mésophile, avec 80% de taxons comptant pour le niveau moyen.

Substrat

  1. Parmi les 4485 taxons recensés dans les Alpes, 92% comptent pour la catégorie de substrat préféré des roches calcaires, 90% pour les substrats intermédiaires et 76% pour les substrats siliceux. Ces proportions confirment que les taxons calcicoles sont majoritaires en Europe centrale. Un taxon endémique sur trois est exclusif des substrats strictement calcaires et près de deux sur trois du regroupement des substrats calcaires et intermédiaires; les principaux refuges glaciaires périphériques sont en effet majoritairement calcaires. La proportion de taxons sténoèces pour le substrat est élevée parmi les endémiques, qui occupent souvent des milieux extrêmes où le déterminisme édaphique est considérable. En revanche, les xénophytes sont très nettement euryèces pour le substrat, une tolérance qui leur confère de fortes potentialités colonisatrices.

  2. Les pourcentages de taxons comptant pour les trois catégories de substrat diminuent tous en fonction de l'altitude, la flore devenant plus sténoèce pour le substrat au fur et à mesure que la profondeur du sol diminue, mais aussi que la proportion d'endémiques sténoèces augmente et que celle des xénophytes euryèces diminue.

  3. Plus de 85% des taxons endémiques locaux comptent pour les substrats calcaires dans les Alpes françaises du sud, sur la bordure méridionale des Alpes orientales, ainsi que dans les Préalpes de Haute- et Basse-Autriche. En revanche, moins de 75% d'endémiques locaux comptent pour les substrats calcaires de la province de Turin jusqu'au Tessin, ainsi qu'en Styrie. D'autre part, plus de 57% d'endémiques locaux comptent pour les substrats siliceux dans les provinces de Cuneo et de Turin. Le Piémont italien, où dominent les substrats siliceux, est une importante barrière géologique, qui explique en large partie le bicentrisme en matière d'endémisme dans les Alpes.

  4. Le profil du cortège sud-européen-montagnard est celui qui s'écarte le plus de celui de la flore totale, avec des pourcentages nettement inférieurs pour les substrats intermédiaires (75%) et siliceux (52%), ce qui correspond à une flore relativement sténoèce pour le substrat. Les profils des contingents méditerranéen, européen et eurasiatique sont comparables à celui de la flore totale, mais le contingent eurasiatique est à la fois le plus euryèce et fortement calcicole. Le caractère calcicole de ce dernier contingent s'explique par le maintien d'un pH élevé des sols sur le continent eurasiatique durant le Pléistocène, notamment durant la dernière glaciation, du fait de l'aridité du climat, des apports éoliens et de la cryoturbation. Tout en étant euryèce pour le substrat, le cortège floristique arctico-alpin est plutôt silicicole.

  5. Parmi les douze familles réunissant chacune plus de 100 taxons dans les Alpes, les Lamiaceae réunissent le plus de taxons comptant pour les substrats calcaires, soit 100%, alors que les Fabaceae rassemblent le moins de taxons comptant pour les substrats siliceux, soit 67%, ainsi que plus de taxons sténoèces pour le substrat que les Lamiaceae. Que ce soit sur calcaire ou sur silice, les Caryophyllaceae réunissent beaucoup de taxons sténoèces, car cette famille compte une proportion élevée de taxons endémiques (22%).

  6. Parmi les quinze genres réunissant chacun au moins 40 taxons dans les Alpes, Campanula, Gentiana et Euphorbia ont une tendance calcicole particulièrement marquée. Le genre Euphorbia est celui qui présente la tendance calcicole la plus prononcée, avec la plus forte proportion de taxons comptant pour les substrats calcaires (100%), ainsi que la plus faible pour les substrats siliceux (44%). A l'inverse, Trifolium et Hieracium montrent une proportion de taxons comptant pour les substrats siliceux supérieure à celle des taxons comptant pour les substrats calcaires. Que ce soit sur calcaire ou sur silice, le genre Saxifraga réunit beaucoup de taxons sténoèces, car il compte une proportion très élevée d'endémiques (47%).

  7. Les géophytes montrent le pourcentage de taxons comptant pour les substrats calcaires le plus élevé (96%), alors que pour les substrats siliceux, les chaméphytes montrent le pourcentage le plus bas (61%) et sont les plus sténoèces pour le substrat, en accord avec leur tolérance aux conditions extrêmes. Le profil des hémicryptophytes se rapproche le plus de celui de la flore totale. La tendance silicicole très marquée des hydrophytes est exceptionnelle au sein d'une flore à dominante calcicole, sans doute en raison du caractère subcosmopolite de la flore aquatique des eaux douces.

Niveau trophique

  1. Parmi les 4485 taxons recensés dans les Alpes, 94% comptent pour le niveau trophique du sol mésotrophe, 78% pour le niveau oligotrophe et 49% pour l'eutrophe. La tendance générale est donc plutôt oligotrophe, confirmée par le fait que la moitié des taxons sont exclusifs du regroupement de niveaux oligotrophe-mésotrophe et que seuls 21% sont exclusifs du regroupement mésotrophe-eutrophe. Les endémiques sont très franchement oligotrophes, alors que les xénophytes ont un profil à la fois méso-eutrophe et eurytrophe, une caractéristique qui explique une fois encore leurs facultés colonisatrices.

  2. La proportion de taxons comptant pour le niveau eutrophe diminue fortement en fonction de l'altitude, alors qu'à l'inverse celle comptant pour le niveau oligotrophe augmente. Ces gradients reflètent la diminution de la production de biomasse avec l'altitude, conséquence du rétrécissement de la période de végétation lié à la diminution de la température de l'air.

  3. Les profils des cortèges floristiques sud-européen-montagnard et arctico-alpin se caractérisent par une proportion très élevée de taxons dans le niveau oligotrophe et faible dans le niveau eutrophe. Ils sont donc oligo-mésotrophes, en accord avec leur dominance en altitude.

  4. Parmi les douze familles réunissant chacune plus de 100 taxons dans les Alpes, les Caryophyllaceae, Cyperaceae et Fabaceae sont celles qui montrent le caractère oligotrophe le plus marqué.

  5. Parmi les quinze genres réunissant chacun au moins 40 taxons dans les Alpes, les Hieracium, Gentiana et Saxifraga sont ceux qui montrent le caractère oligotrophe le plus marqué.

  6. A tendance méso-oligotrophe, les profils des phanérophytes, des hémicryptophytes et des géophytes sont comparables à celui de la flore totale. La seule catégorie présentant un profil franchement différent est celle des chaméphytes, avec 97% de taxons comptant pour le niveau oligotrophe et seulement 12% pour l'eutrophe. Cela confirme l'adaptation de cette forme biologique aux situations où les ressources sont limitées (azote et phosphore).

Corrélations entre facteurs

  1. De légères corrélations négatives sont mises en évidence entre les niveaux très sec et sec des valeurs indicatrices d'humidité du sol et les substrats intermédiaires et siliceux, en général plus imperméables. A l'inverse, on note de légères corrélations positives entre les niveaux humide et mouillé-aquatique d'une part et les substrats intermédiaires et siliceux d'autre part.

  2. Les taxons xérophiles ont tendance à être oligotrophes, les sols secs ayant une faible activité biologique, alors que les taxons hygrophiles ont tendance à être eutrophes, les sols humides ayant en revanche une bonne activité biologique.

  3. Concernant la relation niveau trophique - substrat, les coefficients de corrélation positifs les plus forts sont relevés entre le niveau eutrophe et les substrats siliceux et intermédiaires.

Remerciements

Nous remercions le Fonds National Suisse de la recherche scientifique (FNS) de son soutien au projet «Contribution à l'étude synthétique de la diversité floristique des Alpes» (nos 31-31244.91 et 3100-031244), ainsi que toutes les personnes ayant collaboré au projet pour une Flore des Alpes. Nous remercions aussi Nicolas Wyler pour la production des cartes des Alpes par SIG, ainsi que Pascal Martin et Yves Rasolofo pour leurs conseils et expertises informatiques.

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© CONSERVATOIRE ET JARDIN BOTANIQUES DE GENÈVE 2012
David Aeschimann, Nathalie Rasolofo, and Jean-Paul Theurillat "Analyse de la flore des Alpes. 4: Écologie," Candollea 67(2), 193-219, (1 December 2012). https://doi.org/10.15553/c2012v672a1
Received: 20 March 2012; Accepted: 24 July 2012; Published: 1 December 2012
KEYWORDS
Alpine arc
Biological forms
Ecological indicator values
Flora of the Alps
floristics
humidity
substrate
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