Open Access
How to translate text using browser tools
1 December 2007 Distribution et limites écologiques du criquet nomade Nomadacris septemfasciata (Serville, 1838) à Madagascar
Alex Franc, Yoan Braud, Hasina Ratovonasy, Grégory Wagner, Jean-François Duranton
Author Affiliations +
Abstract

The red locust Nomadacris septemfasciata (Serville,1838) has been studied for a long time in Southern Africa where its outbreak areas are known and regularly assessed. This locust is also observed in Madagascar, but only recently have gregarious individuals been observed and described: in 1997 in the south and in 2002 in the north part of the island. This locust has only one generation per year, with a long immature adult period throughout the dry season. In this work, by means of all data recorded since 1907, a first chorology study of Nomadacris septemfasciata is set up at the national level. Archival data were improved with data collected during rural investigations and field surveys. Chorology data were analyzed with physical and weather ecological parameters (altitude, rainfall and temperature).

Altogether, 717 measures were collected. By contrast with the migratory locust, another pest in Madagascar, the distribution and ecological requirements of the red locust do not seem to correlate only with altitude, rainfall and temperature: its response to the micro-environment also plays a prominent role.

The red locust ranges between 0 and 2000 m elevation. An area of diapause can be delimited on the edge of the highlands and the east coast. The breeding area is wider and more extensive, from middle areas to the whole of the western slope, from south to north. It is in the Sofia area (in the northwest of the island) that most of the populations (hopper bands and swarms) were observed between 1999 and 2003.

Introduction

Le Criquet nomade, Nomadacris septemfasciata (Serville 1838) est répandu en Afrique australe et orientale et dans les îles de l'océan indien (Anonyme (COPR) 1982). Il est étudié depuis longtemps du fait de son importance économique: l'IRLCO (International Red Locust Control Organisation), basée en Zambie, se consacre à la surveillance et la lutte de ce ravageur (Bahana & Byaruhanga 1999). Il a été décrit pour la première fois à Madagascar par Finot (1907) et recemment les premiers individus grégaires ont été observés dans des bandes larvaires et des essaims. Ils été ont décrit en 1997 dans le sud en mélange avec le criquet migrateur Locusta migratoria capito (Saussure 1884) et en 2002 seul dans le nord (Franc et al. 2005). L'espèce est passée d'un simple problème de défense rapprochée des cultures à celui de locuste ravageur (Duranton 2001).

Ces deux acridiens ont fait l'objet d'investigations depuis le début du 20e siècle: Zolotarevsky (1929), Frappa (1935, 1936). Lors de la création du centre antiacridien à Madagascar en 1932, les deux espèces sont prises en compte dans les opérations de surveillance, mais l'attention est axée sur le criquet migrateur dans son aire grégarigène (sud-ouest de l'île) (Frappa 1947). Le criquet nomade est étudié uniquement dans cette zone par Têtefort & Wintrebert (1963, 1967), puis par Randrianasolo (1978). Les données dans le reste du pays sont quasiment inexistantes. Seul Frappa (1935, 1936, 1938) a prospecté à l'ouest de Tananarive, riche zone agricole qui assure l'approvisionnement de la capitale.

Le cycle biologique du criquet nomade a été décrit à Madagascar (Frappa 1935; Têtefort & Wintrebert 1963, 1967) et beaucoup plus précisément en Afrique australe (Stortenbeker 1967). C'est une espèce univoltine à diapause imaginale. La reproduction a lieu en début de saison des pluies, de décembre à janvier. Le développement larvaire se déroule pendant la saison chaude et pluvieuse de janvier à mars. Après la mue imaginale, les imagos entrent en diapause pour toute la saison sèche. Il existe donc deux périodes distinctes dans le cycle annuel: la reproduction en saison des pluies et la diapause imaginale en saison sèche. Les zones de reproduction sont les mieux connues: les pontes ont lieu pendant la saison culturale et les larves groupées occasionnent des dégâts sur les cultures et sont souvent signalées au service anti-acridien (Têtefort & Wintrebert 1967). Par contre, les populations imaginales immatures quittent les stations méridionales en début de saison sèche vers des zones refuges qui sont pour la plupart inconnues (Randrianasolo 1978)

Madagascar est une île divisée en zones climatiques variées (Dufournet 1972). La pluviométrie moyenne annuelle varie de moins de 400 mm (sud-ouest) et à plus de 4000 mm (nord-est). Les températures extrêmes vont de 40°C dans le nord-ouest en début de saison de pluies et peuvent descendre aux alentours de 0°C au dessus de 2000 m sur les hautes terres pendant l'hiver austral.

Comment se distribue le criquet nomade en fonction de ces variables climatiques moyennes? Pour le comprendre, il parait in-dispensable d'établir une chorologie du criquet nomade à l'échelle du pays et non pas seulement dans le sud-ouest de l'Ile où sont concentrées l'essentiel des travaux et des prospections de surveillance. Il faudra ensuite expliquer cette distribution en fonction des variables climatiques moyennes, principalement la pluviométrie et les températures pour essayer de dresser une régionalisation du cycle moyen du criquet nomade à Madagascar pour les deux périodes clé de l'acridien, la reproduction et la diapause imaginale.

Matériel et méthodes

Recueil des données.—Pour délimiter les zones colonisées par les imagos en reproduction et les larves d'une part puis par les imagos en diapause d'autre part, nous avons procédé en trois étapes.

Tout d'abord l'ensemble des archives mentionnant le criquet nomade a été compilé. Ces données sont de trois ordres: celles retenues par Frappa en 1935, celles qui restent au Centre National Antiacridien et qui concernent uniquement le Sud de l'île, réparties sur plus de 30 années (partiellement reprises par Lecoq et al. (2006)) et enfin des données relevées par Randrianasolo dans les années 1980 (Randrianasolo 1997).

Pour compléter ce premier bloc de données, des enquêtes ont été menées dans trois régions, au sud de l'île entre 2000 et 2001, dans le nord de l'île (bassin de la Sofia et extrême nord) en 2003 et dans le centre et l'ouest en 2004. La méthodologie suivie pour ces trois séries d'enquêtes a été la même: questions orales à plusieurs paysans rassemblées en même temps dans un village pour connaître la période de présence des larves et des adultes de criquet nomade ainsi que les éventuels dégâts.

Enfin des prospections ont été menées dans des zones non couvertes par les deux premiers travaux où la présence de criquet nomade a été notée de visu. Elles ont surtout concernées les zones à fortes pullulations, dans le nord de l'île.

Homogénéisation des données.—Face à l'hétérogénéité des données inhérentes à leurs origines, seules les variables communes peuvent être exploitables. A chaque point de donnée, les variables suivantes ont pu être retenues: la date, la position géographique, l'altitude, le stade biologique (larve ou imago), le type de population (groupé ou isolé).

La date de signalisation permet de déterminer les périodes du cycle, diapause ou reproduction, qui s'étendent respectivement de mai à octobre et de novembre à avril. Le développement larvaire est inclus dans la période de reproduction alors que les imagos peuvent se retrouver dans les deux périodes.

Interprétation des données.—Pour interpréter la répartition des points de signalisation, les données ont été confrontées aux variables physiques et au climat. Le climat est très variable à Madagascar selon les régions naturelles, un découpage en quatre grandes régions climatiques a été utilisé pour régionaliser les résultats: la côte-Est humide en permanence, les hautes terres (centre) à climat tropical d'altitude, le versant ouest à climat tropical chaud et le sud plus aride (Dufournet 1972). Les isothermes des températures maximales du mois de novembre (mois le plus chaud) et des températures minimales du mois de juillet (mois le plus froid) ont été tracées ainsi que la pluviométrie annuelle moyenne. Enfin à chaque point correspond une altitude. Ces données, recueillies à la météorologie nationale de Madagascar, ont été projetées à l'aide du logiciel ArcGIS®. Une série de jointures spatiales a permis de confronter les surfaces météorologiques avec les points de signalisation.

Au final il a été possible pour les deux périodes du cycle dans les quatre régions climatiques de trouver les bornes minimales et maximales de température minimale moyenne, maximale moyenne, de pluviométrie moyenne et d'altitude.

Résultats

Au total, 717 signalisations ont été recensées entre 1907 et 2004 (Tableau 1). Les données recueillies lors des prospections dans le nord (427 points) correspondent aux pullulations récentes dans cette région, les autres signalisations représentent 290 points recueillis dans le reste de l'île.

Tableau 1.

Bilan des données de signalisations recueillies sur le criquet nomade à Madagascar.

i1082-6467-16-2-181-t01.gif

Lors des enquêtes dans le sud, neuf points ont été relevés où le criquet était inconnu des paysans interrogés. Il y a donc au final 708 points renseignées pour les trois paramètres concernant le stade, la période du cycle et le type de population.

  • — Stade: 119 points concernent les imagos et 589 points les larves.

  • — Type de population: 142 points concernent les populations isolées et 566 des populations groupées.

  • — Période du cycle: 83 points concernent la diapause imaginale et 625 la période de reproduction.

  • L'ensemble des signalisations est reporté sur la figure 1. La figure 2 permet de repérer les noms cités dans le texte.

Répartition géographique.—Le criquet nomade est présent sur quasiment toute l'île. Les points s'étalent entre le niveau de la mer et 2000 m d'altitude. Le criquet nomade est rare sur la partie orientale de l'île. Il n'a été observé que cinq fois en population diffuse à l'état imaginal en saison sèche le long de la côte-est. N. septemfasciata est exceptionnel en altitude et il n'est jamais signalé à plus de 2000 m. Il est très rare dans les zones semi-arides du sud ouest de l'île et on le rencontre de manière dispersé sur l'ensemble du versant occidental. Il n'y a aucune signalisation au centre du versant ouest (Tsingy de Bemaraha, causse du Kelifely et Cap Saint André). Le manque de prospection dans ces régions isolées ne permet pas de conclure avec certitude sur l'absence de criquet nomade.

Fig. 1.

Projection des 717 points de signalisations de criquet nomade recueillis entre 1907 et 2004 à Madagascar sur les quatre régions bioclimatiques de Dufournet (1972). Le diverticule au nord-est qui coupe le versant ouest, correspond à la région du Sambirano, apparenté au climat de l'Est.

i1082-6467-16-2-181-f01.gif

Les points de signalisation sont denses dans trois principales zones: 1) Dans le sud, mis à part le domaine côtier, 2) l'ensemble de la région dans le centre ouest (région du dite du Moyen Ouest), 3) dans le nord ouest (bassin de la Sofia).

Fig. 2.

Carte physique de Madagascar.

i1082-6467-16-2-181-f02.gif

Le tableau 2 montre les bornes minimales et maximales pour chaque critère de classification utilisé selon la période et les régions.

Tableau 2.

Température, précipitation et altitude aux deux périodes du cycle du criquet nomade et dans les quatre régions bioclimatiques de Madagascar définies par Dufournet (1972).

i1082-6467-16-2-181-t02.gif

La gamme des zones climatiques colonisées par le criquet nomade est large. Les précipitations peuvent varier de 700 à 3200 mm dans les zones abritant les populations en diapause et de 400 à 2800 mm pour celles qui sont fréquentées à un moment ou à un autre par les populations en période de reproduction. La gamme des températures minimales et maximales dans laquelle se situent les points de signalisation est aussi variée que celle des températures de l'ensemble du pays. Seule l'altitude permet de distinguer, au sein de chaque zone, les zones de diapause et de reproduction. Dans le centre, le sud et l'ouest, les imagos en diapause se trouvent dans des zones plus en altitude. Ce qui n'est pas le cas à l'Est, où même les zones de basses altitude sont humides en saison sèche.

Pour faire ressortir les particularités des zones de diapause, nous avons projeté uniquement les points de diapause en fonction de l'altitude et de la latitude. Ce transect du nord au sud est aussi représenté de manière cartographique (Fig. 3).

Fig. 3.

Projection du nord au sud des signalisations d'imagos en diapause (83 points) dans un espace latitude (Y) en degré et altitude (X) en mètres. n°1 à n°5 : signalisations de la côte-est (1: Vohemar, 2: Maroantsetra, 3: Île Ste Marie, 4: Tamatave, 5: Mananjary) Pour les 34 points (hors côte-Est et bassin de la Sofia), la moyenne altitudinale est à 1,100 m, le minimum à 600 m. et le maximum à 2000 m.

i1082-6467-16-2-181-f03.gif

Plusieurs domaines apparaissent. Tout d'abord les signalisations de la côte-est sont les seules en basse altitude. Ensuite le point isolé au nord (cercle gris sur la figure 3) en moyenne altitude correspond à une signalisation sur le versant nord du Tsaratanana (point culminant de Madagascar). Un peu plus au sud (versant sud du Tsaratanana), un groupe de points correspond aux imagos en diapause dans le bassin de la Sofia. Mis à part la côte-est, c'est la zone de diapause de plus basse altitude (260 m). Plus au sud apparaissent les signalisations du centre qui sont les plus élevées en altitude (2005 m). Puis les signalisations du Sud sont situées entre 600 et 1325 m. Une seule signalisation est située dans la partie occidentale du Sud, c'est un point au centre dans le Massif de l'Analavelona à 1325 m d'altitude. Il n'y aucune signalisation d'imagos en diapause dans l'extrême-sud en dessous du 24° parallèle. La répartition des imagos en diapause permet de séparer l'île en deux parties. Les imagos en diapause sont toujours signalés à l'est de cette ligne (sauf pour le Massif de l'Analavelona dans le Sud).

Le groupement des populations.—Les populations diffuses et groupées ont les mêmes bornes thermiques et pluviométriques. Par contre une différence régionale nette apparaît lorsque l'on compare le pourcentage de points de populations groupées par région (Tableau 3).

Tableau 3.

Rapport du nombre de signalisations de criquet nomade en populations diffuses et en populations groupées par région à Madagascar.

i1082-6467-16-2-181-t03.gif

Dans la Sofia les signalisations de populations groupées dominent l'échantillon. Sur la côte-est, les populations groupées sont rares. Dans les autres régions, Centre, Sud et Ouest (Sofia exclus), les signalisations de populations groupées et diffuses sont à peu près à l'équilibre.

Discussion

Distribution des points recueillis.—Les points proviennent pour la plupart d'informations de sources paysannes. Naturellement ces résultats font ressortir plus de points en période de reproduction qui concerne des larves groupées qui attirent l'attention à cause des dégâts causés aux cultures. Les larves se développent pendant la saison culturale en saison des pluies. Les larves et les populations groupées sont cinq fois plus citées que les imagos et les populations diffuses. Finalement, les rares signalisations de populations imaginales à faible densité (ne faisant pas de dégâts et passant inaperçues) proviennent toutes de prospections spécialement dédiées au criquet nomade. Les points d'imagos en population diffuse pendant la période de diapause sont rares (34) pour des raisons évidentes, ce qui explique la méconnaissance jusqu'alors de ces « zones de diapause ».

Le bassin de la Sofia concentre l'essentiel des signalisations. C'est dans cette zone que des pullulations de grandes ampleurs sont apparues entre 1999 et 2003 (Duranton c.p.). Les regroupements imaginaux et larvaires ont dépassés le seuil de transformation pha-saire pendant cette période et plusieurs essaims et bandes larvaires (dont certaines de plus de 5 km de long) ont été observés (Franc et al. 2005).

Bornes bioécologiques du criquet nomade.—L'étude des limites pluviométriques et thermiques des zones de présence du criquet nomade ne permet pas de déduire une plage étroite de développement. Au contraire du criquet migrateur qui a une plage optimale pluviométrique clairement définie (Launois 1974), le criquet nomade semble s'adapter à des micro-milieux et ne répond pas de manière directe à un facteur climatique unique. Les zones de développement larvaire situées dans la région semi-aride du sud, décrites par Têtefort & Wintrebert (1967), ne reçoivent que 600 mm de pluie par an. Par ailleurs, les larves de criquet nomade solitaire peuvent aussi se développer dans la région occidentale de la Sofia où il tombe plus de 1500 mm d'eau sur quatre mois de saison des pluies. Or des populations groupées sont signalées dans les deux cas, ce qui laisse supposer des taux de réussite de développement importants. Les biotopes colonisés sont sans doute différents au nord et au sud de l'île. Il faudra à l'avenir étudier l'impact des conditions climatiques sur les biotopes pour comprendre leur attractivité relative pour le criquet nomade dans les différentes régions de l'île.

Zones de diapause, zones de reproduction.—Le criquet nomade entre en diapause pour passer la saison sèche (Frappa 1935, 1936; Têtefort & Wintrebert 1967; Denlinger 1986) en recherchant des milieux les moins secs qui lui fournissent encore de la nourriture fraîche. Dans ces conditions les basses terres du versant occidental, où la saison sèche est très marquée, sont totalement abandonnées. N. septemfasciata va s'abriter dans des zones d'altitude où, d'une part la baisse des températures hivernales permet de limiter l'évapotranspiration et le dessèchement de la végétation (Dufournet 1972), d'autre part les vallées de moyenne montagne conservent un écoulement d'eau presque permanent, ce qui maintient des reliques de forêt galeries arbustives ou arborées (Chaperon et al. 1993). Le criquet nomade y trouve des perchoirs fournissant abri et nourriture dans la strate herbacée adjacente. Cette complémentarité entre zones basses et hautes rappelle le cycle du Schistocerca interita au Pérou où ce locuste utilise les zones d'altitude pour passer la diapause et descend se reproduire dans les plaines de basse altitude plus chaudes et humides en saison des pluies (Duranton et al. 2006).

L'aire de répartition des imagos en diapause est plus restreinte que celle de la reproduction. Dans chacune des quatre régions étudiées, les zones de diapause ont une plus forte pluviométrie que celle des zones de reproduction, ce qui suggère que pendant cette période d'immaturité sexuelle, les imagos sont plus adaptés à des macros milieux et sensibles aux conditions bioécologiques globales.

Découpage de la grande île.—Le schéma de migration annuel décrit dans le sud (Lecoq et al. 2006) liant des zones de diapause situées sur le rebord des hautes terres et des zones de reproduction situées en plaine sur le versant occidental se retrouve globalement partout, mais pas à l'identique du nord au sud.

Extrême sud. Le criquet nomade est rare et aucune population groupée n'a jamais été observée. Lecoq et al. (2006) avait montré que les reproductions étaient exceptionnelles (1 année sur 10) les années à forte pluviométrie.

Sud. Les zones de diapause sont situées à l'intérieur des terres audelà de 600 m d'altitude (plateau de l'Horombe, cirque Manambien, vallée du Ranotsara, Andringitra, hautes vallées du Zomandao et des affluents du Mangoky) sans oublier les particularités du massif de l'Analavelona, bien que situé au cœur des zones de reproduction, il abrite des imagos en saison sèche.

Ouest. Très peu de signalisations de larves proviennent du versant occidental alors que le centre (région du moyen-ouest) abrite des populations en diapause et en reproduction. Si dans le sud la migration des populations des zones de diapause à l'est vers les zones de reproduction à l'ouest ne semble pas poser de problème, elle parait ici impossible. Une hypothèse liée à l'accessibilité des milieux pourrait expliquer ce phénomène: le vaste fossé du Betsiriry est une dépression profonde entre les hautes terres et les Tsingy de Bemaraha (Battistini 1996). Il représente un dénivelé de plus de 1000 m à franchir en quelques kilomètres entre ce fossé et les rebords des hautes terres (Paulian 1972). Si des reproductions ont lieu dans le fossé, elles pourraient passer inaperçues et il est fort probable que la génération résultante se retrouve coincée dans le fossé sans trouver de biotopes favorables pour passer la diapause. Le manque de complémentarités écologiques entre des zones de reproduction et des zones de diapause pourrait empêcher l'augmentation des effectifs et des densités sur plusieurs années successives.

Par contre cette complémentarité semble être réunie dans le bassin de la Sofia. Les zones de diapause sont situées dans un arc englobant l'ensemble des hautes vallées de la Sofia, et de ses affluents, à la limite du rebord de la côte-est. Ce sont les zones de diapause les plus basses du versant occidental de l'île et aussi les plus proches de la côte-est. Elles bénéficient ainsi de pluies fines et de brouillards pendant la saison sèche, ce qui entretient une végétation plus verte pour le criquet nomade. Leur faible altitude en fait aussi des zones de ponte. La reproduction s'effectue dans l'ensemble du bassin de la Sofia. Mais ces conditions géographiques et physiques n'expliquent pas tout car la première signalisation de population groupée dans la Sofia date uniquement de décembre 1999. Aucune archive ne mentionne de populations groupées et de dégâts auparavant. Seule des conditions météorologiques exceptionnelles où une évolution durable des conditions environnementales pourrait expliquer de telles pullulations. Enfin notons que des populations de criquet nomade sont aussi présentes dans le nord. Les zones de diapause se trouvent sur les rebords du Massif du Tsaratanana et sur les versants de la Montagne d'Ambre.

Centre. L'essentiel des signalisations du Centre viennent du Moyen-ouest. Dans cette région le criquet nomade est signalé en reproduction et en diapause sur des zones assez proches. Les zones de diapause sont situées sur les hauteurs du rebord occidental des hauts plateaux de Fianarantsoa, jusqu'aux plateaux des Tampoketsa. Ce sont les zones de diapause les plus élevées en altitude du pays et aussi les plus froides de l'île. De nombreuses populations diffuses y sont signalées et des basses températures particulièrement pendant la période de reproduction doivent réguler les effectifs. Les autres populations groupées du Centre proviennent du lac Alaotra.

Est. Le criquet nomade est rare et en population diffuse. Il peut s'y reproduire, mais on le rencontre essentiellement en saison sèche, très probablement à la recherche de zones encore humides pour passer la diapause imaginale. Si la végétation reste verte toute l'année, le problème de l'accessibilité se pose pour les imagos diapausant venant de l'ouest ou du centre et qui se déplacent à la recherche de zones encore vertes.

Conclusion

Nos travaux montrent que le criquet nomade se répartit sur l'ensemble du territoire malgache. Il est présent de manière plus exceptionnelle dans l'extrême sud au climat semi-aride et dans les zones d'altitudes au-delà de 2000 m. Il est aussi rarement repéré sur la côte-est. On dénombre cinq zones de présence permanente où des dégâts sur l'agriculture sont enregistrés régulièrement: le sud, le centre (notamment le moyen ouest), le bassin du lac Alaotra, le bassin de la Sofia, et le nord.

Pour accomplir son cycle annuel, le criquet nomade se déplace de zones de reproduction situées en basse altitude sur le versant occidental, vers des zones de diapause situées sur le rebord des hautes terres, allant parfois jusqu'à la côte-est. La végétation de ces zones de diapause reste relativement verte en saison sèche.

Le criquet nomade effectue donc deux migrations annuelles d'est en ouest. La continuité entre les zones de diapause et les zones de reproduction est assurée par le réseau hydrographique du versant occidental de l'île qui permet à l'acridien de se déplacer. Sur l'ensemble de l'île la complémentarité est rarement parfaite entre une zone de reproduction à l'ouest et une zone de diapause sur le rebord des hautes terres. Dans le sud, les zones de reproduction sont réparties autour des cultures et s'étendent vers le littoral sec et sableux, en utilisant le réseau hydrographique qui fournit une humidité édaphique suffisante dans un climat semi-aride. Dans l'ouest, les zones de reproduction et les zones de diapauses sont restreintes, assez proches et situées sur les mêmes bassins versants. Il n'existe pas véritablement de région de reproduction vaste mais plutôt des complémentarités locales, et aucune correspondance régionale. Seule la Sofia possède des zones de reproduction et de diapause vastes et souvent contiguës. Ces trois caractéristiques pourraient expliquer en partie les pullulations qui ont abouti à une transformation phasaire accomplie de ce locuste.

La limite de ce travail réside dans l'échantillonnage. Les prospections sont naturellement orientées vers les zones de présence du criquet nomade. Ainsi, le versant Ouest a été sous prospecté par rapport à sa superficie. Malgré tout au cours de l'invasion du cri-quet migrateur de 1997 à 2000, un recueil des signalisations était organisé au niveau national (Duranton 1997, 2001) et, mis à part celles du bassin de la Sofia, très peu de signalisations nouvelles ont été relevées.

Le modèle proposé par ce locuste est original par rapport au criquet migrateur malgache. On rencontre des criquets nomades solitaires quasiment sur toute l'île. Une aire grégarigène, au sens d'Uvarov (1977), est soupçonnée dans le bassin de la Sofia. Mais les populations grégaires qui s'y forment épisodiquement peuvent-elles coloniser l'ensemble de l'île ?

Concrètement ces travaux sur la zonation bioécologique des zones exploités par le criquet nomade à Madagascar apportent une première vision globale du phénomène. Depuis 1999, les ravages de cet acridien sont nombreux et il devient désormais possible de cibler les grands ensembles fonctionnels qu'il colonise. Sur le plan pratique, la prise en compte des ensembles bioécologiques pourra aider de manière décisive la surveillance des zones à risques pour aboutir in fine à un système d'avertissement.

Acknowledgments

Nous remercions tous les prospecteurs et les enquêteurs qui ont collecté des données sur le terrain ainsi que Mme Angèle Rasoarisoa et M. Tsimandany respectivement chefs de la circonscription de la protection des végétaux de Diégo Suarez et d'Antsohihy au démar-rage des travaux.

Reférences citées

1.

Anonymous (COPR) 1982. The Locust and Grasshopper Manual. Centre for Overseas Pest Research. London. Google Scholar

2.

J. W. Bahana and E. K. Byaruhanga . 1999. Advances and review of strategies for red locust plague prevention: the control of red locust, Nomadacris septemfasciata (Serville) into the 21st century. Insect Science and its Applications 19:265–272. Google Scholar

3.

R. Battistini 1996. Paléogéographie et variété des milieux naturels à Madagascar et dans les îles voisines: quelques données de base pour l'étude biogéographique de la «région malgache≫, 1–17. Colloque International Biogéographie de Madagascar. Orstom. Paris du 26-28/09/1995. ORSTOM éditions, Paris. Google Scholar

4.

P. Chaperon, J. Danloux, and L. Ferry . 1993. Fleuves et rivières de Madagascar. ORSTOM. Paris. Google Scholar

5.

D. L. Denlinger 1986. Dormancy in tropical insects. Annual Review of Entomology 31:239–264. Google Scholar

6.

R. Dufournet 1972. Régimes thermiques et pluviométriques des différents domaines climatiques de Madagascar. Revue Géographique de Madagascar 20:25–113. Google Scholar

7.

J-F. Duranton 1997. Fléau acridien à Madagascar. Sécheresse 8.p. p. Google Scholar

8.

J-F. Duranton 2001. Chronologie acridienne (1996 – 1999). pp 169–181. In W. Zehrer , editor. (Eds). Lutte Antiacridienne à Madagascar. Tome 1: Biologie et Écologie Projet DPV/GTZ Promotion de la Protection Intégrée des Cultures et des denrées Stockées à Madagascar, Tananarive. Google Scholar

9.

J-F. Duranton, A. Monard, and R. S. Morales . 2006. Contribution à l'étude de la bioécologie de deux locustes péruviens, Schistocerca cf. interrita Scudder 1899 et Schistocerca piceifrons peruviana Lynch Arribalzaga 1903 (Orthoptera, Cyrtacanthacridinae). Journal of Orthoptera Research 15:157–169. Google Scholar

10.

A. Finot 1907. Sur le genre Acridium. Annales de la Société entomologique de France 76:306–354. Google Scholar

11.

A. Franc, L. F. Rabesisoa, M. H. Luong-Skovmand, and M. Lecoq . 2005. Phase polymorphism in the red locust Nomadacris septemfasciata (Orthoptera: Acrididae) in Madagascar. International Journal of Tropical Insect Science 25:182–189. Google Scholar

12.

C. Frappa 1935. Etude sur la sauterelle migratrice Nomadacris septemfasciata Serv. et sa présence à Madagascar de 1926 à 1935. Bull. économ. Mad. (N. sér.) 3:203–221. Google Scholar

13.

C. Frappa 1936. Observations nouvelles sur la biologie de Nomadacris septemfasciata Serv. à Madagascar. Bull. Soc. Hist. nat. Afr. Nord 27:326–358. Google Scholar

14.

C. Frappa 1938. Madagascar : comportement du criquet nomade (Nomadacris septemfasciata) de 1935 à 1938. Moniteur International de la Protection des Plantes 13:26–35. Google Scholar

15.

C. Frappa 1947. La question acridienne à Madagascar. L'Agronomie Tropicale II:125–149. Google Scholar

16.

M. Lecoq, A. Franc, M. H. Luong-Skovmand, A. Raveloson, and Vd Ravelombony . 2006. Ecology and migration patterns of solitary red locusts, Nomadacris septemfasciata (Serville) (Orthoptera: Acrididae) in southwestern Madagascar. Annales de la Société Entomologique de France 42:197–205. Google Scholar

17.

R. Paulian 1972. La position de Madagascar dans le double problème du peuplement animal et des translations continentales. Mémoires du Muséum national d'Histoire Naturelle, nouvelle série A zoologie 88:55–71. Google Scholar

18.

E. Randrianasolo 1978. Biologie et écologie comparées de deux acridiens (Orthoptera, Cyrtacanthacridinae) Cyrtacanthacris tatarica tatarica (Linn., 1758) et Nomadacris septemfasciata (Serville, 1838) dans le Sud-Ouest de Madagascar. Thèse d'Université, Paris XI. Google Scholar

19.

E. Randrianasolo 1997. Etude chorologique et synécologique de l'entomofaune malgache : les Orthoptères. Rapport de stage au CIRAD-GERDAT-PRIFAS, 15 novembre 1996 - 15 janvier 1997. CIRAD-GERDAT-PRIFAS: Montpellier (France). pp. Google Scholar

20.

C. W. Stortenbeker 1967. Observations on the population dynamics of the red locust, Nomadacris septemfasciata (Serville), in its outbreak areas. Centre for Agricultural Publications and Documentation. Wageningen. pp. Google Scholar

21.

J-P. Têtefort and D. Wintrebert . 1963. Eléments d'acridologie pratique à Madagascar. L'Agronomie Tropicale 9:875–932. Google Scholar

22.

J-P. Têtefort and D. Wintrebert . 1967. Ecologie et comportement du criquet nomade dans le Sud-Ouest Malgache. Annales de la Société entomologique de France 3:3–30. Google Scholar

23.

B. P. Uvarov 1977. Grasshoppers and Locusts. Centre for Overseas Pest Research. London. Google Scholar

24.

B. N. Zolotarevsky 1929. Le criquet migrateur (Locusta migratoria capito, Sauss.) à Madagascar. Annales des Epiphyties (Paris) 15:185–242. Google Scholar
Alex Franc, Yoan Braud, Hasina Ratovonasy, Grégory Wagner, and Jean-François Duranton "Distribution et limites écologiques du criquet nomade Nomadacris septemfasciata (Serville, 1838) à Madagascar," Journal of Orthoptera Research 16(2), 181-188, (1 December 2007). https://doi.org/10.1665/1082-6467(2007)16[181:DELCDC]2.0.CO;2
Accepted: 1 September 2007; Published: 1 December 2007
KEYWORDS
bioécologie
chorologie
diapause
Madagascar
Nomadacris septemfasciata
Back to Top